De la consécration internationale progressive du droit à l’autodétermination
En tant que principe politique, le droit des peuples à disposer d’eux mêmes, constitue un pilier des textes révolutionnaires français et nord-américains. Il pose le principe selon lequel chaque peuple dispose d’un choix libre et souverain de déterminer la forme de son régime politique. A l’issue de la première guerre mondiale, le principe est inscrit au sein des 14 points du Président américain Woodrow Wilson. Il est repris par l’article 1er de la Charte des Nations Unies en 1945.
Face à la permanence de situations coloniales et à la croissance des revendications de décolonisation dans le monde, l’Assemblée Générale des Nations Unies vota, le 14 décembre 1960, la Résolution 1514, dite « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux », qui reconnait pour la première fois au sein d’une norme internationale « le droit de tous les peuples á l’autodétermination ; « en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel » (art. 2. de la résolution). La résolution circonscrit ce droit aux situations de sujétion des peuples á une subjugation, domination ou exploitation étrangère (art. 1 de la résolution) et elle exclut les situations remettant en cause l’unité nationale et l’intégrité territoriale des Etats souverains et indépendants.
Quelques années plus tard, ce même droit est consacré au sein des Pactes internationaux sur les droits civils et politiques (PIDCP) et sur les des droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), adoptés par les Nations unies en 1966. Ces instruments juridiques contraignants disposent en leur article 1 commun du droit « de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel ».
En vertu de la Résolution et des deux Pactes, considérant que les premiers peuples colonisés et originaires des territoires occupés étaient les peuples aujourd’hui appelés « autochtones », il semblerait juridiquement soutenable de reconnaître à ceux de ces peuples ayant survécu à ces histoires coloniales, le droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes. Cependant, la permanence d’une idéologie colonialiste juridique globale, propre au modernisme, empêcha l’application directe et immédiate de ce principe aux peuples autochtones pour deux motifs principaux.
D’une part, la Résolution 1514 s’appliquait aux cas de subjugation, domination et exploitation étrangère et excluait l’application de ce droit aux situations qui remettraient en cause le principe de l’intégrité territoriale et celui de l’intangibilité des frontières. Mais il faut admettre que la sécession est seulement une forme parmi d’autres d’exercice du droit à l’autodétermination.
D’autre part, encore á l’époque de la rédaction des deux Pactes, il était considéré que les groupes autochtones ne constituaient pas des peuples, en tant que sujet de droit international. Cette même théorie permit aux Etats de nier toute valeur juridique aux traités, accords et arrangements constructifs réalisés entre les peuples autochtones et les puissances coloniales sur leurs territoires.
Ces deux réserves justifièrent l’aménagement de la distinction entre autodétermination externe (qui peut se traduire par l’établissement d’un Etat souverain et indépendant, la libre association avec ou l’intégration dans un Etat indépendant) et autodétermination interne, dans le cadre des frontières étatique, qui serait seule applicable aux situations de domination des peuples autochtones et consisterait en la détermination libre, par chaque peuple, de son statut et de son régime politiques (soit une forme d’autonomie). L’autodétermination intervient également en matière économique (droit des peuples à disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, droit d’assurer librement leur développement économique), en matière culturelle et sociale.
Inscrite dans un courant juridique amplement teinté de colonialisme, la Convention 169 de l’OIT viendra ratifier la portée interne des droits reconnus aux peuples autochtones en précisant au sein de son article premier al.3 que « l’emploi du terme peuples dans la présente convention ne peut en aucune manière être interprété comme ayant des implications de quelque nature que ce soit quant aux droits qui peuvent s’attacher à ce terme en vertu du droit international ».
L’UNDRIP : l’égalité entre les peuples autochtones et autres peuples et le droit à l’autodétermination des peuples autochtones
Bien que les revendications des peuples autochtones au respect de leur droit à l’autodétermination n’aient jamais cessé de s’exprimer, elles ne seront prises en compte par le droit international moderne qu’en 2007 avec l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, après 22 années de débats. Pour les peuples autochtones, l’enjeu principal de la Déclaration, atteint sur le papier, était justement leur reconnaissance de leur statut de peuple sur un plan d’égalité avec les autres peuples (art. 2) et du droit á l’autodétermination (art.3).
Comme l’indiquait le rapport Martinez Cobo : « l’auto-détermination sous ses différentes formes, est une pré-condition pour que les peuples autochtones puissent jouir de leurs droits fondamentaux et déterminer leur futur, en préservant, développant et transférant leur identité ethnique spécifique aux futures générations »(1). Reprenant un commentaire de Marie Léger, “le droit à l’autodétermination est le premier droit collectif qui permet d’exercer tous les autres. Il est reconnu comme attribut de tous les peuples et est considéré comme un instrument essentiel à la survie et l’intégrité de leurs sociétés et cultures »(2).
Pilier de la Déclaration, le droit á l’autodétermination, dont l’essence est celle de pouvoir choisir, habite l’ensemble de ses dispositions. Il est expressément formulé au sein des articles 3 et 4 de la Déclaration.
Le droit á l’autodétermination des peuples autochtones reconnu au sein de l’UNDRIP ne se distingue pas de celui reconnu au sein des deux Pactes de 1966. La Déclaration constitue un rappel de ces droits, une contextualisation de la situation particulière des peuples autochtones ; elle agit à titre de réparation aux violations systématiques de ce droit subies par les peuples autochtones et acceptées en vertu d’un historique consensus international.
Une interprétation de la Déclaration à la lumière des principes généraux du droit international, ne permet pas de limiter le droit à l’autodétermination des peuples autochtones, au-delà des limites concernant le droit à l’autodétermination des peuples en général. La DDPA indique que le droit à l’autonomie constitue une forme d’exercice de ce droit (art. 4). Selon les termes de B. Clavero, « actuellement, l’ordre international permet l’indépendance des peuples ou secteurs de peuples compris au sein des frontières des Etats quand ces derniers commettent des violations massives et systématiques aux droits de l’Homme et ne démontrent aucune disposition à la reconnaissance, réparation et rectification » (3).
On observe actuellement plusieurs scenarii de mise en œuvre du droit á l’autodétermination, essentiellement sous ses formes internes. Certaines Constitutions reconnaissent expressément ce droit, comme les constitutions de la République de Bolivie de 2009 et des Etats Unis du Mexique de 2001, bien que cette dernière limite expressément l’exercice de ce droit dans « un cadre constitutionnel d’autonomie qui assure l’unité nationale » (art. 2). On citera d’autres exemples célèbres de mise en œuvre de régimes d’autonomie : la création de Nunavut au Canada, des Comarques au Nicaragua, le statut d’autonomie renforcée du Groenland, la reconnaissance d’un territoire Navajo etc.
Dans d’autres hypothèses où le droit national ne reconnait pas expressément ce droit et ses formes d’exercice, les peuples et collectivités autochtones prennent en charge la mise en œuvre d’un ou plusieurs aspects de ce droit par d’autres moyens : création d’écoles autochtones autonomes, élaboration de statuts juridiques autonomes, de registres d’état civil autochtones, recours aux institutions et droits propres, formes d’exercice de contrôles territoriaux etc.
En ces temps de gouvernance globale partagée entre les Etats, les organisations internationales, les entreprises transnationales, les peuples autochtones etc., le respect du droit à l’autodétermination des peuples autochtones dépend des agissements de chacun de ces acteurs (peuples autochtones y compris). De nombreux litiges proviennent des atteintes aux territoires autochtones par des entreprises transnationales qui exploitent et contaminent les ressources naturelles de ces territoires (forêts, minéraux, gaz, pétrole, cours d’eau etc.). A cet égard, la Déclaration prévoit l’obligation générale des Etats de consulter de bonne foi les peuples autochtones et leurs institutions représentatives avant d’adopter et d’appliquer toute mesures législatives ou administratives susceptibles d’affecter les peuples autochtones, en vue d’obtenir leur consentement. La jurisprudence de la Cour Interaméricaine des droits de l’Homme et la DDPA, déterminent que l’obtention du consentement libre, préalable et informé des peuples autochtones est obligatoire si le projet en question prévoit la réinstallation de populations autochtones hors de leurs terres (art. 10 DDPA), la décharge ou le stockage de matière dangereuse sur les terres ou territoires des peuples autochtones, ou encore « quand il s’agit de projets de développement ou d’investissement à grande échelle qui causeraient un impact d’importance majeure au sein d’un territoire autochtone » (CIDH : Saramaka c. Suriname, décision du 28 novembre de 2007, párrs. 133 y 134). Ces mesures constituent un aspect de mise en œuvre du droit à l’autodétermination des peuples autochtones.
Un enjeu principal des recherches menées par SOGIP au sein des 5 continents consistera à analyser la portée, les mécanismes et stratégies de cette conquête du droit á l’autodétermination, menée au niveau global, national et local, en terme de reconnaissance et mise en œuvre par l‘ensemble des acteurs concernés et intervenants sur les territoires autochtones, dans des contextes locaux si divers. Une attention particulière sera portée à l’interprétation propre du concept d’autodétermination par les peuples autochtones.
Bibliographie
Notes
(1) “Informe sobre el Problema de la Discriminación contra las Poblaciones Indígenas”. Conclusiones, Propuestas y Recomendaciones E/CN. 4/Sub. 2/ 1986//7/Add 4.