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Projet de recherche

Projet de recherche Projet de recherche | Benoît Trépied - 11 mai 2011

Contexte

Depuis la fin des années 1980, les revendications en termes de décolonisation et d’indépendance en Nouvelle-Calédonie (territoire français du Pacifique Sud) ont provoqué dans le champ scientifique l’émergence de travaux originaux en anthropologie politique. Ceux-ci se sont tout particulièrement intéressés au militantisme nationaliste kanak (en faveur de la création de la « République de Kanaky ») puis aux processus de compromis et de réconciliation négociés entre Kanak, Caldoches (colons) et Etat français lors des Accords de Matignon (1988) puis de Nouméa (1998). Or depuis une dizaine d’années, de nouvelles revendications kanak ont vu le jour, qui se réfèrent explicitement à « l’autochtonie » et à la Déclaration des droits des peuples autochtones (DDPA/UNDRIP), plutôt qu’à l’indépendance ou la « citoyenneté calédonienne » prônée par l’Accord de Nouméa.

La présente recherche a pour vocation d’examiner la complexité des relations entre les idéologies et pratiques politiques kanak relevant de l’indépendantisme, d’une part, et de l’autochtonie, d’autre part. Ce débat renvoie en effet à une confrontation fondamentale entre deux types de légitimité politique kanak : celle des élus kanak (système représentatif d’inspiration occidentale) et celle des « coutumiers » (« chefs », « conseils des anciens », « sénateurs coutumiers »). Elles-mêmes nées de l’histoire coloniale, ces catégories « traditionnelles » nécessitent d’être dénaturalisées et restituées dans leur dynamique socio-historique propre.

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Jeune famille kanake de la tribu de Montfaoué, devant leur maison, région de Poya, Province Nord, Nouvelle Calédonie. © Jean-François Marin/fedephoto.com

Deux stratégies politiques kanak pour l’auto-détermination

La Déclaration des droits des peuples autochtones a été votée par la France en 2007, alors que la Nouvelle-Calédonie se trouvait déjà à mi-parcours d’un processus inédit de décolonisation progressive défini par l’Accord de Nouméa (débuté en 1998 et qui se terminera entre 2014 et 2018). Cet Accord inclut notamment la reconnaissance d’institutions kanak autonomes : reconnaissance des « terres coutumières », promotion de la culture kanak, création « d’aires coutumières » et d’un « Sénat coutumier », reconnaissance de l’existence d’un « droit coutumier » (non écrit jusqu’à présent). Une « citoyenneté calédonienne » a également été créée par l’Accord de Nouméa, en tant que traduction légale, sociale et politique du concept fondateur de « souveraineté partagée dans un destin commun ». Depuis lors, certains activistes kanak ont mobilisé la DDPA/UNDRIP sur la scène politique locale, afin d’exiger un contrôle kanak global sur les ressources naturelles, ainsi qu’une écriture définitive du « droit coutumier ».

Notre recherche analyse la construction et les impacts de ces nouveaux discours et pratiques politiques kanak, qui renvoient pour une large part (mais pas uniquement) aux débats internationaux sur l’autochtonie. Nous étudions également les mécanismes de l’importation et de la circulation de ces débats internationaux sur la scène politique locale. Enfin cette recherche a également pour but de questionner le rapport de l’Etat français contemporain aux revendications de ces anciens « indigènes », qu’elles s’expriment en terme d’indépendance ou d’autochtonie. La Nouvelle-Calédonie fait ici figure de cas expérimental, que nous souhaitons également analyser dans une perspective comparative, au sein du programme SOGIP, notamment vis-à-vis de la Guyane Française

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Case kanake de la tribu de Xépénéhé, reportage à l’île de Lifou, province des îles, dans le cadre des bilans des Accords de Matignon, Nouvelle-Calédonie. ©Jean-François Marin/fedephoto.com

Les enjeux de l’alternative politique kanak

En matière de développement économique, les leaders kanak se revendiquant des droits autochtones s’appuient notamment sur l’article 29 de la DDPA sur la protection de l’environnement, afin d’exiger des dispositifs de compensation financière et des mesures environnementales face aux compagnies minières. En revanche, au nom de la « préparation à l’indépendance », les élus kanak des principaux partis indépendantistes soutiennent de nombreux projets de développement économique, devenant par là même des acteurs-clés du secteur stratégie de l’industrie du nickel.

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Ouvriers mineurs kanaks lors de l’extraction du nickel dans la mine de Ouaco, géré par La Province Nord, Province Nord, Nouvelle-Calédonie. ©Jean-François Marin/fedephoto.com

Plus largement, les leaders kanak nationalistes (FLNKS) et les leaders kanak « autochtones » (Rheebu Nuu, Caugern, Sénat coutumier) ont tendance à défendre désormais des perspectives politiques différentes concernant la place du peuple kanak au sein de la société calédonienne. Les élus du FLNKS jugent en effet que l’Accord de Nouméa a pleinement reconnu le principe des droits kanak, qu’il s’agit maintenant de mettre en œuvre et de concrétiser. De leur côté, les porte-parole de la « cause autochtone » considèrent que la reconnaissance des institutions coutumières (par l’Accord de Nouméa) permet désormais de revendiquer de nouvelles garanties légales, politiques et financières pour que les droits du peuple kanak soient respectés dans la société calédonienne, en dehors du cadre de la seule « citoyenneté calédonienne », et quelle que soit l’évolution statutaire du pays (indépendance ou maintien dans l’ensemble français). Ayant pour objet ces transformations politiques kanak contemporaines, notre recherche se focalise en particulier sur les usages et les non-usages de la DDPA/UNDRIP dans ce contexte politique troublé.

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Données

Données générales Données générales | Benoît Trépied - 11 mai 2011

Démographie générale

Archipel français du Pacifique sud situé à 2000 km des côtes nord-est de l’Australie, la Nouvelle-Calédonie compte 245580 habitants selon le recensement de population de 2009. Les deux tiers de la population vivent dans les quatre communes du « Grand Nouméa », l’unique agglomération urbaine du territoire, au sud-ouest de la Grande Terre (île principale). On retrouve ce déséquilibre démographique à l’échelle des trois provinces existantes : la province Sud, qui englobe notamment l’agglomération de Nouméa, regroupe les trois quarts de la population, alors que les provinces Nord et Iles Loyauté représentent respectivement 18% et 7% de la population totale.

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La Nouvelle-Calédonie (découpage provincial)

Démographie autochtone

Les premiers habitants de la Nouvelle-Calédonie ont d’abord été nommés « Kanak » (mot polynésien signifiant homme) par les traducteurs tahitiens de James Cook lorsqu’il découvrit l’archipel (1774), puis « Canaques » par les Français. Ce terme devint progressivement péjoratif et fut remplacé officiellement par les termes « indigènes », puis « autochtones » ou « Mélanésiens » à partir des années 1950. Les premiers intellectuels autochtones des années 1970 ont renversé le stigmate du mot « Canaque » pour en faire un symbole de fierté identitaire et politique, sous la graphie anglaise initiale « Kanak » (invariable en genre et en nombre). L’Accord de Nouméa de 1998 a reconnu officiellement cette terminologie.

Confrontés à une importante colonisation de peuplement française à partir du milieu du XIXe siècle, les Kanak représentaient encore la moitié de la population totale dans les années 1950. Au tournant des années 1970, l’afflux de nouvelles populations a pour la première fois placé les autochtones en position de minorité démographique (40% de la population). Selon le recensement de 2009, 44% des habitants de l’archipel s’identifient de nos jours comme Kanak (métissés ou non), 34% comme Européens (métissés ou non) et 10% comme Wallisiens et Futuniens (métissés ou non). Le reste de la population se répartit entre les « communautés » tahitienne, indonésienne, vietnamienne, ni-vanuatu, autres asiatiques et autres. A noter que lors du précédent recensement en 2004, contrairement aux usages, aucune question sur l’appartenance communautaire n’avait été posée en raison du débat métropolitain alors virulent sur les données ethniques. Cette situation posait un important problème pour mesurer l’efficacité des politiques de rééquilibrage à destination des Kanak. Les questions ethniques ont été réintroduites lors du recensement de 2009.

Les populations rurales des provinces Nord et Iles Loyauté sont très majoritairement kanak (environ 80% au Nord et près de 100% aux Iles Loyauté). Environ la moitié de la population kanak est aujourd’hui installée dans la zone urbaine du « Grand Nouméa » en province Sud.

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Vue générale du centre ville avec la cathédrale et le port de Nouméa, provine Sud, Nouvelle Calédonie. ©Jean-François Marin/fedephoto.com

Régime politique et juridique

Ancien Territoire d’Outre-Mer de la République Française, la Nouvelle-Calédonie est devenue depuis 1998 une collectivité territoriale sui generis engagée dans un processus inédit de décolonisation, en vertu de l’Accord de Nouméa. Ce texte, qui fixe le cadre politique de la Nouvelle-Calédonie jusqu’en 2014, fait partie intégrante de la Constitution française (art. 76 et 77). Il organise notamment le transfert progressif et irréversible des compétences exercées par l’Etat central au Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, organe exécutif collégial formé à la proportionnelle des principaux groupes politiques du Congrès de la Nouvelle-Calédonie (sur les institutions calédoniennes, voir ici). Entre 2014 et 2018, un référendum local devra être organisé pour décider du transfert ou non des dernières compétences régaliennes (défense, ordre public, justice, monnaie, relations extérieures) à la Nouvelle-Calédonie. Une réponse positive équivaudrait à l’accession de l’archipel à la pleine souveraineté.

Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie, qui dispose d’un pouvoir quasi-législatif, vote des « lois de pays ». Il regroupe la plupart des conseillers provinciaux des trois provinces, élus au suffrage universel direct tous les cinq ans par l’ensemble des « citoyens calédoniens » : cette catégorie créée par l’Accord de Nouméa regroupe l’ensemble des citoyens français installés en Nouvelle-Calédonie avant le 8 novembre 1998 et justifiant de dix années de résidence, ainsi que leurs descendants. Dotées de larges compétences et de pouvoirs financiers importants, les provinces ont été créées en 1988 afin d’assurer, par la décentralisation et le découpage électoral, un réel partage du pouvoir entre indépendantistes (majoritaires dans les provinces Nord et Iles) et anti-indépendantistes (majoritaires en province Sud). Jusqu’à présent, les présidences du Congrès et du Gouvernement ont toujours été assurées par des Européens anti-indépendantistes, tandis que la vice-présidence du Gouvernement revient traditionnellement à un Kanak indépendantiste.

A l’échelle nationale, la Nouvelle-Calédonie dispose de deux députés à l’Assemblée Nationale et de deux sénateurs au Sénat. A l’échelle municipale, elle compte trente-trois communes de plein exercice. Le Gouvernement français est représenté en Nouvelle-Calédonie par le haut-commissaire de la République.

Indicateurs socio-économiques

La plupart des institutions et administrations de la Nouvelle-Calédonie ne produisent pas de statistiques à base ethnique, de sorte qu’il est très difficile à l’heure actuelle de disposer d’indicateurs socio-économiques fiables, à l’échelle du pays, sur la place des Kanak dans la société calédonienne.

Dans l’unique prison du pays, les Kanak représentent environ 80% des détenus. Les Océaniens dans leur ensemble (Kanak, Wallisiens et Futuniens, Polynésiens, Ni-Vanuatu) constituent 90% des détenus. La vétusté et la surpopulation de l’établissement en font, selon les termes des parlementaires européens qui la visitèrent en janvier 2010, « la prison la plus putride de la République Française » (Les Nouvelles Calédoniennes, 7 et 12 janvier 2010).

Les écarts de richesse en Nouvelle-Calédonie sont nettement plus accentués qu’en France : dans l’agglomération de Nouméa, les 10% de ménages les plus pauvres gagnent en moyenne 13 fois moins que les 10% des ménages les plus riches, alors que ce ratio est de 1 à 5 en France métropolitaine (Alain Decombels et Gaël Lagadec, L’ombre de la crise, 2009, p. 151). Selon une étude statistique récente menée à l’échelle de la province Nord, à situation égale (même âge, même sexe, même qualification), les Kanak gagnent en moyenne 32% de moins que les non Kanak (Osas, Etre jeune en Province Nord, 2010, p. 5).

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Installation de logement dans le squatt (quartier d’habitat spontané océanien) à Logicoop à Ducos, reportage dans la ville de Nouméa. ©Jean-François Marin/Fédéphoto.com

Selon une enquête statistique de l’INSERM (Christine Hamelin et Christine Salomon, 2008) mené sur les comportements de santé des jeunes en Nouvelle-Calédonie, les jeunes métropolitains de plus de 21 ans vivant en Nouvelle-Calédonie sont 79% à avoir obtenu un baccalauréat, les Européens calédoniens 67%, les Polynésiens 49% et les Kanak seulement 34%. En France métropolitaine et DOM, en 2007, le taux de bacheliers pour une génération atteint 63,8%.

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Contexte régional

Contexte régional Contexte régional | Benoît Trépied - 11 mai 2011

Située aux antipodes de l’Hexagone, la Nouvelle-Calédonie fait partie intégrante de la République Française et de l’Union Européenne. C’est l’une des trois collectivités françaises du Pacifique, avec la Polynésie française et Wallis-et-Futuna. De nombreuses relations familiales, économiques, religieuses et scolaires lient la Nouvelle-Calédonie à ces deux autres collectivités françaises de la région, ainsi qu’au Vanuatu, pays voisin de l’archipel calédonien et ancienne colonie franco-britannique jusqu’en 1980.

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La Nouvelle-Calédonie dans son environnement régional. Source : www.caledoniaspirit.fr/Photos/Localisation2.jpg

Au sein du Forum des Iles du Pacifique, institution politique qui regroupe les seize pays indépendants de la zone Pacifique (dont l’Australie et la Nouvelle-Zélande), la Nouvelle-Calédonie a d’abord été invitée en tant qu’observateur à partir de 1999, puis comme membre associé depuis 2005. Sur les liens entre la France, la Nouvelle-Calédonie et le Forum des Iles du Pacifique, voir ici.

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Plage de kiki, tribu de Xépéhéné, reportage à l’île de Lifou, province des île. Source : Photographie JF Marin. © Jean-François Marin/Fédéphoto.com

Le groupe Fer de Lance Mélanésien est un groupe politique qui regroupe les pays « frères » de la Mélanésie, à savoir les Etats indépendants de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, des Iles Salomon, du Vanuatu, des Iles Fidji, mais aussi le Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS), la principale coalition indépendantiste de Nouvelle-Calédonie. Au sein de cet organe de pression historiquement solidaire de la lutte indépendantiste kanak, la question du remplacement du FLNKS par la Nouvelle-Calédonie en tant que collectivité fait actuellement l’objet d’un important débat.

Le Secrétariat de la Communauté du Pacifique (CPS) est une institution internationale regroupant les Etats et territoires de la région Pacifique, notamment la Nouvelle-Calédonie. Son siège est basé à Nouméa.

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Totems et sculptures kanakes sur l’île des pins en hommage aux premiers missionnaires catholiques arrivés sur cette plage, Ile des Pins, Provine Sud, Nouvelle Calédonie. ©Jean-François Marin/fedephoto.com
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Droits

Droits et politique Droits et politique | Benoît Trépied - 11 mai 2011

Problématique indépendantiste

En 1946, les Kanak, anciens sujets indigènes de l’Empire français, ont obtenu la citoyenneté française. En tant que simples citoyens français, sans autre particularité, ils ont pu participer aux différents scrutins politiques à partir des années 1950 (élections municipales, territoriales puis provinciales, législatives, présidentielles, européennes). Depuis les années 1970, l’émergence de la revendication d’indépendance kanak a provoqué une forte bipolarisation à la fois partisane et ethnique : les partisans de l’indépendance sont Kanak pour la très grande majorité, tandis que le camp anti-indépendantiste regroupe la plupart des non-Kanak (communautés européenne, wallisienne, indonésienne, etc.). Sur les transformations du champ politique en lien avec la lutte kanak, voir notamment les articles des anthropologues Benoît Trépied et Christine Demmer.

Dans les années 1970 et 1980, la revendication indépendantiste kanak déployée dans un contexte de minorisation démographique des autochtones a posé un problème légal et politique inédit à l’Etat français. Le principe fondamental de la République Française de non-discrimination entre les citoyens français interdit en effet d’organiser un référendum d’auto-détermination réservée à une seule catégorie de la population calédonienne : le résultat du référendum est donc connu d’avance (la majorité des citoyens français vivant en Nouvelle-Calédonie sont hostiles à l’indépendance du pays), ce qui débouche sur la non-reconnaissance de la légitimité de la revendication indépendantiste kanak. Or celle-ci se fonde sur la dénonciation de la colonisation de peuplement subie par les autochtones et une exigence de décolonisation qui doit se traduire par une accession du pays à l’indépendance. L’opposition entre la légitimité kanak et la légitimité française a débouché sur des affrontements violents entre indépendantistes et « loyalistes » pendant les années 1980 (« les événements »).

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Intérieur d’un case dans la tribu de la Tiendanite, dont était issu le leadeur kanake Jean Marie Tjibaou, ProvinCe Nord, Nouvelle Calédonie. ©Jean-François Marin/fedephoto.com

Face au refus de l’Etat français de reconnaître la revendication indépendantiste kanak, le Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS, principale coalition indépendantiste) a mené dans les années 1980 un important travail diplomatique sur la scène internationale. Grâce au soutien actif des Etats indépendants du Pacifique (notamment l’appui du Groupe du Fer de Lance Mélanésien), et malgré l’opposition active de la diplomatie française, le FLNKS est parvenu en décembre 1986 à faire réinscrire la Nouvelle-Calédonie sur la liste des pays à décoloniser dressée par les Nations Unies.

En 1988, un compromis historique a stoppé les affrontements et permis le retour de la paix civile : les Accords de Matignon-Oudinot. Signés par le FLNKS, le RPCR (Rassemblement pour la Calédonie dans la République, principal parti anti-indépendantiste) et l’Etat français, ces accords ont repoussé l’organisation d’un référendum d’autodétermination à 1998. En échange, ils ont impulsé de nombreuses mesures de rééquilibrage socio-économique en faveur des Kanak (équipement, développement économique, santé, éducation, terres, culture, etc.) et un réel partage du pouvoir politique grâce à la création de trois provinces, dont celles du Nord et des Iles Loyauté qui reviennent quasi-mécaniquement au FLNKS du fait du découpage électoral. Ces accords ont été validés par l’ensemble du peuple français consulté par référendum en novembre 1988.

En 1998, le FLNKS, le RPCR et l’Etat ont entamé de nouvelles négociations afin de trouver un nouveau compromis politique en lien et place du référendum d’autodétermination prévu par les Accords de Matignon. L’Accord de Nouméa, qui en a découlé, est fondé sur de nouvelles mesures organisant la décolonisation progressive de la Nouvelle-Calédonie : reconnaissance préalable de l’identité kanak, création d’un gouvernement local collégial, création d’une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie (à l’intérieur de la citoyenneté française) et projet du « destin commun », transfert progressif et irréversible des compétences de l’Etat à la Nouvelle-Calédonie, limitation du corps électoral, protection de l’emploi local, référendum d’autodétermination prévu entre 2014 et 2018. L’Accord de Nouméa a été validé par référendum local en Nouvelle-Calédonie et intégré au texte même de la Constitution française (articles 76 et 77).

Problématique « autochtone »

Pendant la période coloniale (1853-1946), il n’existait pas d’état civil indigène : l’administration n’identifiait que des « tribus » (terme administratif colonial). Une tribu désignait un groupe de population, personne morale et propriétaire foncier d’une « réserve indigène », représenté officiellement par un « chef » (nommé et rémunéré par l’administration). Cette notion française de « chef » était loin de correspondre aux subtilités des rapports de pouvoir et des réseaux d’influences et de contre-influences caractéristiques du monde kanak. Certains de ces chefs administratifs bénéficiaient de réelles positions de pouvoir reconnus à l’intérieur du monde kanak, tandis que d’autres ne devaient leur ascension politique locale qu’au processus de reconnaissance administrative. Lorsque l’exercice des droits afférents à la citoyenneté a conduit à l’entrée des Kanak dans les institutions (mairie, Assemblée territoriale, provinces, etc.), le pouvoir politique réel de ces « chefs » a décliné de façon tendancielle face aux nouveaux élus kanak.

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Octave Togna, directeur de l’ADCK, prépare avec les autorités coutumières l’inauguration du centre, Centre culturel kanak Jean-Marie Tjibaou "Ngan Jilia", de l’architecte Renzo Piano, quelques jours avant l’inauguration, Nouméa, Province Sud, Nouvelle-Calédonie. ©Jean-François Marin/Fédéphoto.com

Parmi leurs diverses revendications, les leaders politiques kanak du FLNKS ont exigé une reconnaissance des « autorités coutumières ». Les Accords de Matignon de 1988 ont créé un Conseil Consultatif Coutumier, ainsi que huit « aires coutumières » (cinq sur la Grande Terre et trois dans les Iles Loyauté), délimitées en fonction de critères liés aux langues et/ou à l’organisation sociale traditionnelle. En 1998, l’Accord de Nouméa a réaffirmé l’importance des aires coutumières et a transformé le Conseil Consultatif en Sénat Coutumier, dont l’avis doit être sollicité par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie pour toutes les « lois de pays » qui concernent l’identité kanak. Dans chaque aire coutumière, les membres du « bureau de l’aire » représentent l’ensemble des « chefferies » (administratives) de la zone. Le mode de désignation des membres des aires coutumières et du Sénat, qui n’est pas spécifié par l’Accord de Nouméa, s’effectue généralement au consensus. Les membres du Sénat coutumier demandent avec insistance un accroissement de leurs pouvoirs et compétences, ce qui ne constitue pas une priorité pour le personnel politique élu, qu’il s’agisse des élus indépendantistes kanak ou loyalistes européens.

Héritage de la période coloniale, la Constitution française reconnaît en son article 75 l’existence d’un droit civil particulier pour certains citoyens français non soumis au Code civil (Kanak, Mahorais de Mayotte, Wallisiens et Futuniens). L’Accord de Nouméa stipule que ce droit civil particulier, requalifié en tant que « droit coutumier kanak », devra être écrit et codifié. Les membres du Sénat coutumier et autres porte-parole des « autorités coutumières » demandent en conséquence l’ouverture de ce chantier. Ils s’appuient notamment sur la Déclaration des droits des peuples autochtones votée à l’ONU en 2007. Cette stratégie politique kanak « néo-coutumière » s’appuie donc directement sur les débats internationaux liés à la question de « l’autochtonie » et considère que la décolonisation doit se traduire par de nouveaux droits collectifs réservés aux Kanak. Elle se distingue de plus en plus clairement de la stratégie politique kanak du FLNKS, selon laquelle la décolonisation doit passer par l’accession de la Nouvelle-Calédonie à l’indépendance et la construction du « destin commun ». Sur l’émergence de cette question « autochtone » en Nouvelle-Calédonie, voir les recherches des anthropologues Christine Demmer, Natacha Gagné et Marie Salaün.

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Drapeau Kanaky (indépendantiste), intérieur kanak, Famille kanake installée dans le squatt à Logicoop à Ducos, reportage dans la ville de Nouméa. ©Jean-François Marin/Fédéphoto.com

L’un des « droits autochtones » sur le point d’être mis en débat sur la scène politique calédonienne concerne les questions de propriétés intellectuelles. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a mis sur pied en 2010 un comité de pilotage pour réglementer la protection des savoirs traditionnels et les droits intellectuels autochtones. Un projet de loi de pays devrait être proposé courant en 2011.

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Territoire

Terres, territoire, ressources Terres, territoire, ressources | Benoît Trépied - 11 mai 2011

Les « réserves indigènes »

A l’issue des grandes spoliations foncières organisées au XIXe siècle pour permettre l’installation des colons européens, les terres officiellement attribuées aux indigènes ne représentaient plus qu’environ 8% de la superficie totale de la Grande Terre. Elles se trouvaient majoritairement dans les zones les plus reculées et les moins fertiles, toutes les meilleures terres agricoles ayant été accaparées par la colonisation. Ce déséquilibre foncier n’a pratiquement pas évolué jusqu’aux années 1970, mis part quelques modestes « agrandissements de réserves » dans les années 1950 et 1960.

Les terres attribuées aux Kanak pendant la période coloniale étaient nommées « réserves indigènes ». Ces réserves, jusqu’à aujourd’hui, sont juridiquement insaisissables, incommutables et inaliénables. A l’inverse de la Grande Terre, les Iles Loyauté, qui n’ont pas connu de colonisation de peuplement, constituent des réserves indigènes intégrales. L’administration a précisément délimité les frontières des réserves, mais elle n’est jamais intervenue dans la gestion interne de ces espaces. Il n’y a à l’intérieur des réserves ni cadastre officiel, ni aucun zonage administratif (type PUD). Les Kanak reconnaissent des formes particulières de propriété foncière et des normes et usages variés en la matière, mais l’ensemble de ces règles ne sont pas écrites et restent en-deçà de l’échelle administrative officielle.

La réforme foncière

Dans les années 1970, les militants indépendantistes kanak ont exigé une restitution des terres spoliées pendant la période coloniale. Ils ont organisé de nombreuses occupations foncières sur les terrains revendiqués, ce qui a occasionné plusieurs affrontements entre Kanak et colons. A partir de 1978 et jusqu’à nos jours, l’Etat a mis sur pied une vaste réforme foncière. Le dossier a été géré par plusieurs institutions successives, dont la dernière en date est l’ADRAF d’Etat (agence de développement rural et d’aménagement du foncier.)

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Famille kanake d’éleveurs, région de Poya, Province Nord, Nouvelle Calédonie. ©Jean-François Marin/fedephoto.com

Le principe de la réforme foncière consiste pour l’ADRAF à racheter les terrains des colons puis à la redistribuer aux clans ou tribus kanak concernés. Il s’agit d’un processus administratif et non judiciaire (sans recours aux tribunaux), qui repose sur des enquêtes précises menées par le personnel de l’ADRAF. Les attributions foncières sont soumises au consensus local. Ces terres sont attribuées pour l’essentiel à des Groupements de Droit Particulier Local (GDPL) qui représentent les clans ou les tribus. Depuis l’Accord de Nouméa, les terres de GDPL et les terres de réserves sont désignées par un seul vocable : « terres coutumières ». L’ensemble des terres coutumières représentent aujourd’hui environ 18% de la superficie totale de la Grande Terre. Le site internet de l’ADRAF présente en détail la cartographie des terres coutumières.

Ressources

La Nouvelle-Calédonie est identifiée comme un « hotspot » de la biodiversité mondiale. Son lagon a été classé au patrimoine mondial de l’Unesco en 2008. Cette dynamique de patrimonialisation de la nature calédonienne soulève d’importants enjeux sociaux (voir les travaux de l’anthropologue Elsa Faugère).

La Nouvelle-Calédonie détient environ 25% des ressources mondiales connues en nickel. Jusqu’à récemment, la Société Le Nickel (SLN, filiale du groupe Eramet contrôlé par l’Etat français) régnait en maître sur l’industrie du nickel calédonien. Les Kanak ont longtemps été tenus à l’écart des bénéfices de l’industrie extractive, tandis que les tribus riveraines des sites miniers ont maintes fois été confrontées à la pollution minière.

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Source : Documentation photographique

En 1990, les indépendantistes kanak du FLNKS ont racheté, par le biais de la Société d’investissement de la province Nord (Sofinor), la Société Minière du Sud Pacifique (SMSP). Ils ont ensuite élaboré un grand projet de développement industriel et urbain dans le Nord, devenu le projet-phare du mouvement indépendantiste, afin de contrebalancer le pouvoir de Nouméa et de la province Sud et de proposer une indépendance économiquement viable. Actuellement en construction, « l’Usine du Nord » est la propriété conjointe de la SMSP (51% du capital) et d’une grande multinationale spécialiste de la métallurgie du nickel (Falconbridge, absorbée depuis par Xstrata, 49% du capital). Ce projet est lié à l’exploitation du riche massif minier du Koniambo, dont le transfert de propriété de la SLN à la SMSP a été âprement négocié en 1996 lors du « préalable minier » (barrages et manifestations des indépendantistes ; voir notamment les recherches de la géographe Leah Horowitz)

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Village minier de Ouinné, province sud, Nouvelle Calédonie. ©Jean-François Marin/fedephoto.com


A Yaté, à la pointe sud de la Grande Terre, une autre usine de transformation du nickel (Goro Nickel) a été construite par Vale Inco, en partenariat avec la province Sud, à partir de 2001. Les populations locales kanak de Yaté n’ont pas été associées au projet et ont subi d’importants dommages environnementaux, ce qui a entraîné une forte mobilisation locale contre Goro Nickel, de nombreux recours en justice et plusieurs affrontements. A cette occasion, plusieurs associations et responsables coutumiers de Yaté en ont appelé au respect des droits des peuples autochtones pour contraindre l’industriel et la province Sud à négocier. Un compromis a finalement été signé en septembre 2008, ce qui n’empêche pas depuis la manifestation régulière de vives inquiétudes quant au respect des populations locales et aux risques environnementaux (voir là encore les travaux de Leah Horowitz).

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Culture

Langue, éducation et culture Langue, éducation et culture | Benoît Trépied - 11 mai 2011

Langues

La Nouvelle-Calédonie compte 28 langues kanak, toutes rattachées à la famille des langues austronésiennes, ainsi qu’un créole (le tayo) pratiqué dans une tribu kanak proche de Nouméa. De nos jours, tous les locuteurs des langues kanak sont également francophones, le français étant la seule langue véhiculaire du pays. Longtemps interdites dans l’espace public au profit du français, alors seule langue officielle, les langues kanak ont acquis un statut officiel grâce à l’Accord de Nouméa de 1998 (point 1.3.3.) : « Les langues kanak sont, avec le français, des langues d’enseignement et de culture en Nouvelle-Calédonie. Leur place dans l’enseignement et les médias doit donc être accrue et faire l’objet d’une réflexion approfondie ».

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Source : Académie des langues kanak. http://www.alk.gouv.nc/portal/page/portal/alk/langues.

Une filière de « langues et culture kanak » a été instaurée à l’Université de la Nouvelle-Calédonie au tournant des années 2000. Celle-ci forme des étudiants (kanak pour la plupart) destinés à occuper des postes d’enseignants en langues kanak ou de spécialistes au sein de l’Académie des langues kanak , institution créée en 2007 dans le sillage de l’Accord de Nouméa. En 2006, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a fixé l’enseignement (optionnel et non obligatoire) en langues kanak à 5 heures hebdomadaires en premier cycle. Concernant le secondaire, certains collègues et lycées offrent des enseignements en langue kanak, en fonction des spécificités locales, sans généralisation de l’offre à l’échelle territoriale. Une épreuve facultative en langues kanak est prévue au baccalauréat. En dépit de ces efforts en matière scolaire, les langues kanak sont très peu présentes dans l’espace médiatique et public du pays (pour plus de détail, voir ici).

Education

Jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, le système scolaire réservé aux indigènes était rigoureusement séparé de l’école des colons, sans aucune possibilité d’accès aux études secondaires pour les Kanak. Le premier bachelier kanak n’a été recensé qu’en 1962, le premier diplômé kanak de l’enseignement supérieur qu’à la fin des années 1960. La révolte kanak des années 1980 s’est également déployée sur le terrain scolaire (contre « l’école coloniale française »), ce qui a conduit à la création des « Ecoles Populaires Kanak » (EPK). Après le retour de la paix dans les années 1990, ces écoles militantes ont progressivement fermé leurs portes les unes après les autres, l’école républicaine redevenant la norme incontournable de la « réussite » scolaire. Si le niveau global de formation est en constante augmentation depuis trente ans, les inégalités scolaires entre communautés perdurent : selon le recensement de population de 2009, 54% des Européens sont titulaires du baccalauréat, contre 12% des Kanak. Un jeune Européen sur deux est diplômé de l’enseignement supérieur, contre un sur vingt dans les communautés kanak et wallisienne. Sur les lieux communs relatifs à l’échec scolaire kanak, voir notamment les travaux de la sociologue Marie Salaün.

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Internat Juvenat de Nouville, soutien scolaire aux lycéens kanaks, reportage dans la ville de Nouméa. ©Jean-François Marin/Fédéphoto.com

Culture

Longtemps méprisée, la culture kanak a connu une forte revalorisation depuis les années 1970, qui a accompagné la lutte politique indépendantiste. Depuis les Accords de Matignon de 1988, l’Agence de développement de la culture kanak (ADCK) est chargée de ce dossier à l’échelle du pays. L’ADCK dirige notamment le Centre Culturel Tjibaou, vaste complexe culturel réalisé à Nouméa par l’architecte Renzo Piano en 1998. Si l’expression artistique kanak (musique, danse, sculpture, peinture, théâtre, littérature) est désormais reconnue et encouragée par de nombreux appuis institutionnels (ADCK, centres culturels provinciaux, société de protection des droits d’auteur, scènes musicales, programmations, tournées, etc.), la reconnaissance concrète des formes pratiques de l’identité et de la culture kanak dans la vie sociale quotidienne (travail, école, logement, transports, vie urbaine) reste largement inaboutie. La norme sociale dominante, en particulier dans le Grand Nouméa où vivent les trois quarts de la population calédonienne, reste la culture française.

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Centre culturel kanak Jean-Marie Tjibaou "Ngan Jilia", de l’architecte Renzo Piano, quelques jours avant l’inauguration, Nouméa, Province Sud, Nouvelle-Calédonie. ©Jean-François Marin/Fédéphoto.com
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