L’année 2008 constitua un tournant historique de la reconnaissance des droits des peuples autochtones au Chili. Cet Etat, qui était resté à la marge de la vague latino-américaine de reconnaissance constitutionnelle et légale des dernières avancées du droit international des peuples autochtones, ratifie la Convention 169 de l’OIT. Jusqu’alors, les politiques économiques néolibérales, encadrées constitutionnellement et développées au Chili depuis la dictature d’A. Pinochet s’accommodaient assez bien de la faible protection accordée aux droits fondamentaux par la Constitution chilienne ainsi qu’avec le régime juridique de protection précaire reconnu aux terres et ressources naturelles des « ethnies », communautés et personnes autochtones, établi par une loi de rang ordinaire votée au début de la transition chilienne à la démocratie (loi n°19.253).
L’incorporation de ce corpus juridique au sein de l’ordre juridique chilien, associée à la récente adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DDPA) venait briser une tradition juridique et juridictionnelle chilienne, opposée à la reconnaissance des peuples autochtones comme sujets de droits, dotés de droits collectifs.
Les revendications territoriales autochtones du Chili, jadis orphelines de protection juridique, s’articulent aujourd’hui autours du droit à l’autodétermination et ses attributs.
Notre recherche se propose d’analyser les enjeux et les mécanismes de la mise en œuvre du droit à l’autodétermination des peuples autochtones au Chili, en tant que principe général (analyse du processus et contenu de la reconnaissance constitutionnelle des droits des peuples autochtones et du statut territorial spécifique relatif à Te Pito O Te Henua (souvent traduit par Nombril du Monde mais qui signifie strictement « nombril du sommet cosmique du triangle du territoire polynésien » (Carlos Hucke Atan) et mal nommé Rapa Nui ou île de Pâques) avant de se pencher sur deux attributs essentiels de son exercice : le territoire autochtone ainsi que les institutions et les systèmes juridiques autochtones.
Des entretiens seront réalisés auprès d’un ensemble représentatif d’acteurs concernés : institutions étatiques (des trois pouvoirs exécutif, législatif, juridique), acteurs intergouvernementaux, entreprises multinationales, avocats et personnes autochtones (politiques, professionnels, autorités traditionnelles, comuneros)
1) En Araucanie, selon sa conception territoriale historique correspondant aux actuelles VIIIème, IXème et Xème régions.
Trois questions seront principalement analysées
2) Les territoires aymara et atacameño du nord du Chili : résolution des conflits territoriaux-environnementaux liés aux exploitations minières et géothermiques
3) Te Pito O Te Henua, Rapanui (grande île)
Le Chili est une république démocratique, indépendante de l’Espagne depuis 1810. Elle ne contrôlera l’ensemble de son territoire qu’à la fin du 19ème siècle, après annexion des territoires autochtones du nord en 1883 suite à la victoire chilienne dans la guerre du Pacifique, après la conquête militaire des territoires Mapuche du sud et l’annexion de Rapa nui (actuellement Province du Chili appartenant à la 5ème région) après la signature de l’Accord de volontés de 1888.
Le Chili partage la frontière du nord avec le Pérou (ses limites maritimes font actuellement l’objet d’une demande en justice à la Cour Internationale de Justice (C.I.J.) déposée en 2006 par l’Etat péruvien) et la Bolivie, et la frontière de la cordillère des Andes avec l’Argentine.
Sans compter les essais constitutionnels du début du 19ème siècle, trois constitutions ont régi le Chili depuis son indépendance : en 1833, 1925 et 1980. Cette dernière adoptée sous le régime dictatorial d’A. Pinochet a subi quelques réformes importantes, notamment la suppression des sièges de sénateurs à vie pour les ex-présidents de la République, la réforme qui limitera les critères de recevabilité des recours de protection du droit à un environnement libre de contamination (2005) et la création des territoires spéciaux de Rapa Nuiet de l’île Juan Fernandez en 2007 (en attente de leur définition par une loi organique constitutionnelle).
Le Président de la République élu pour 4 ans est à la tête de l’exécutif, à la fois chef d’Etat et chef de gouvernement. Le législatif est exercé par le Congrès National constitué en parlement composé de la Chambre des députés et du Sénat. Le pouvoir judiciaire, à caractère hybride (institutions de la common law et de tradition romano-germanique) est un pouvoir historiquement faible, (chargé de « l’administration de la justice » au sein des Constitutions de 1833 et 1925), organisé sur le modèle d’une Cour Suprême de justice à la tête de la structure judiciaire, suivie par des Cours d’Appel réparties sur l’ensemble du territoire et dont dépendent les tribunaux de première instance en matière civile, pénale, familiale, des mineurs et du travail. Le Tribunal constitutionnel créé en 1980 et réformé en 2005 est chargé notamment du contrôle de constitutionnalité à priori des décrets à force de loi, lois, projets de lois et traités soumis à approbation du Congrès. Le ministère public est une institution autonome, indépendante des trois pouvoirs, chargée d’instruire les délits et de conduire les accusés aux tribunaux ; il est composé d’une instance nationale et 18 instances régionales.
Etat unitaire, le Chili est organisé en 15 Régions (les deux dernières régions ayant été créées en 2007) et 54 Provinces. Chaque région est administrée par un gouvernement régional composé à sa tête de l’intendant nommé par le Président de la République, d’un Conseil Régional et des secrétariats régionaux ministériels. Les Provinces sont dirigées par le gouverneur (nommé par le Président de la République), en accord avec les instructions de l’intendant régional.
1) Données générales du pays
Superficie | 755 858.7 km² |
Population | 17 millions d’habitants (projection INE 2008) |
Population autochtone | 1 188 340 personnes, 6 % de la population totale (Casen 2009) |
langues | Langue officielle : Castillan Langues non officielles parlées : mapuzugun, aymara, queshua, vânaga rapanui, kawèsqar, Yagan |
IDH | 0.895 (2010) |
Espérance de vie | 75 ans (hommes) – 80 ans (femmes) |
Taux de fécondité | 2.4 |
Taux de mortalité infantile | 9 pour 1000 enfants nés vivants (OMS 2006) |
Taux d’alphabétisation Des adultes |
95.8 % (2002) |
PIB per capita | 14 700 US dollars (est. 2009) |
Secteurs économiques | Agriculture, pêche, industrie minière et forestière |
2) Recensement et localisation des peuples autochtones reconnus par la loi 19.253 (la loi 19.253 se réfère uniquement au concept d’ethnies et non de peuples)
Peuple | Région | Population recensement (2002) |
---|---|---|
Aymara | Arica-Parinacota | 48501 |
Atacameño | Atacama | 21015 |
Kollas | Antofagasta | 3198 |
Diaguita | Coquimbo | ???? |
Queshua | Atacama | 6175 |
Rapanui | Ile Rapanui | 4647 |
Mapuche | Biobio, Araucanía, Los Ríos, Los Lagos, région metropolitaine |
604.349 |
Kawashkar | Magallanes | 2622 |
Yamana | Magallanes | 1685 |
Le Chili se définit comme un Etat tri-continental pour avoir pied à la fois sur le continent Américain, sur le Pacifique et sur l’Antarctique.
Le Chili est membre de l’APEC (Coopération de l’Asie-Pacifique), partie au AAE-P4 (Accord stratégique trans-Pacifique d’Association économique).
Situé dans le cône sud, il est membre associé du Mercosur.
Il est membre de l’ALADI (Association Latino-américaine d’intégration), de l’OLADE (Organisation latino-américaine de l’Energie, de l’OEI (Association des Etats ibéro américains), de la CIN (Sommet Ibéro-américain), de l’UNASUR (Union des Nations Sud-américaines), de la BID (Banque interaméricaine de développement), de la CAF (Corporation Andine de Fomento), de la CAN (communauté Andine).
Depuis 1993, les gouvernements de la Concertation « coalition centre-gauche » au pouvoir, ont pratiqué la course aux accords commerciaux et Traités de libre échange. En Amérique Latine, le Chili a souscrit : des accords commerciaux économiques (ACE) avec l’Argentine, la Bolivie, Cuba, l’Equateur, le Mercosur, Venezuela, un ALC avec la Colombie, et un autre avec le Pérou, et des TLC auprès de l’Amérique Centrale, le Mexique et le Pérou.
Il a également souscrit des TLC avec le Canada, les Etats-Unis, la Chine, le Japon, la Corée, l’EFTA (Suisse, Norvège, Liechtenstein, Island), un AAP (Accord à portée partielle) avec l’Inde ainsi qu’un Accord d’Association (AAE) avec l’Union Européenne.
Considéré comme le « Jaguar de l’Amérique Latine » pour sa stabilité économique, il est le second Etat latino-Américain à intégrer l’OCDE le 12 janvier 2010. Bien qu’ayant amélioré le niveau de vie de sa population et réduit la pauvreté le Chili est placé au 16ème plus mauvais rang pour les inégalités de richesse dans le monde.
Les gouvernements chiliens et en particulier ceux de la Concertación ont entretenu d’étroites relations avec le système des Nations Unies ; actuellement 6 agences des Nations Unies sont représentées à Santiago (CEPAL, OIT, UNICEF, OMS, FAO, PNUD) ; l’ex-Président R. Lagos a été nommé envoyé spécial des Nations Unies sur le réchauffement climatique (malgré sa désastreuse gestion de la thématique au Chili sous son mandat) ; la Présidente sortante M. Bachelet a été nommée à la tête de la nouvelle agence UNIFEM.
Membre de l’OEA, le Chili est soumis à la juridiction de la Commission et de la Cour Interaméricaine des droits de l’Homme.
La Commission interaméricaine des droits de l’Homme IDH a déclaré l’admissibilité de 6 plaintes déposées contre l’Etat chilien depuis 2002 ; 4 ont été déposées par des prisonniers politiques mapuche, une concernait la détention de 144 mapuche suite à des opérations d’occupation de terres revendiquées et une autre, un conflit territorial causé par l’implantation d’une centrale hydroélectrique en territoire Pehuenche (Ralco). Pour ce dernier cas, les parties au conflit ont trouvé une solution à l’amiable, cependant non respectée par l’Etat Chilien.
les conflits frontaliers
Un recours en justice en revendication de la souveraineté d’un espace maritime frontalier entre le Pérou et le Chili a été déposé par le Pérou à la CIJ.
La Bolivie continue de réclamer un droit d’accès souverain à la mer perdu lors de la guerre du Pacifique (1879-1883). (Revendication incorporée au sein de la Constitution Politique de Bolivie de 2009).
Les peuples autochtones transfrontaliers
Peuple mapuche (Chili-Gulumapu et Argentine Puel-Mapu) : rencontre de la Nation Mapuche en 1992 ; migrations et nombreux échanges socio-culturels, économiques et politiques entre familles, communautés, identités territoriales mapuche et organisations politique.
Peuple Diaguita (Chili-Argentine).
Peuple Kolla (Chili-Argentine)
Peuple Aymara (Chili-Bolivie, Argentine-Pérou) ; création d’une alliance stratégique politique Aymara (Chili-Pérou-Bolivie) : « Aymara sin Fronteras ».
Peuple Maori Rapanui (territoire du triangle de la Polynésie). Echanges socio-politiques et culturelles avec le peuple Maori du triangle Polynésien.
Le Chili constitue l’un des derniers Etats latino-américains à population autochtone à ne pas reconnaitre constitutionnellement de droits aux peuples autochtones. L’actuel projet, proposé en urgence à approbation au sénat par le président S. Pinera est vivement critiqué par les peuples autochtones qui estiment que la procédure de consultation mise en place en 2009 et 2010 viole les standards internationaux du droit des peuples autochtones.
En septembre 2008, la présidente M. Bachelet a ratifié la Convention 169 de l’OIT. Depuis son entrée en vigueur, de nombreuses normes chiliennes devaient être modifiées ou abrogées en raison de leur contradiction avec cet instrument : notamment le Code des eaux (1981), le Code des mines (1983), la loi générale de pêche et agriculture (1991), la loi sur les concessions en énergie géothermiques (2000) et d’autres lois sectorielles, ainsi que la loi indigène 19.253 adoptée en 1993.
Cette dernière prévoit la reconnaissance des « ethnies » chiliennes, des communautés autochtones, un régime de protection des terres autochtones et des mécanismes spécifiques d’accès à la terre et à l’eau (renvoi sur partie territoire). Elle reconnait les autorités traditionnelles mapuche huilliche (sans mentionner celles des autres identités territoriales mapuche, Lafkenche, Nagche ou Pehuenche).
Le gouvernement actuel (sous la présidence de S. Piñera) envisage deux projets de réforme de la loi n°19.253. Le premier prévoit la suppression de la CONADI (institution étatique chargée de mettre en œuvre la loi indigène 19.253) et son remplacement par une Agence du Développement Autochtone. Le second, propose la création d’un Bureau des Affaires Autochtones.
En 2009 a été adopté le décret 124 de réglementation du droit de consultation établi par la Convention 169 de l’OIT. Tant les modalités d’adoption de ce décret (non consulté auprès des peuples autochtones concernés) que son contenu, ont été jugés, par l’Institut des Droits de l’Homme du Chili et la Commission des Experts sur l’Application de la Convention et les Recommandations de l’OIT (CEACR) comme contraires au droit international des peuples autochtones et la propre Convention 169 de l’OIT. En août 2012 le gouvernement a présenté un projet de réglementation de la consultation, actuellement en discussion auprès des conseillers autochtones CONADI et certaines organisations autochtones (site gouvernemental officiel sur la « consultation »).
En 2008, a été adoptée la loi n°20.249 qui crée l’espace côtier des peuples autochtones (« originaires » dans le texte) (cf. thème 5) connue comme « loi lafkenche ».
Est en cours de discussion au Congrès le statut juridique de Te Pito O Te Henua en tant que territoire spécial (article 136 bis réforme constitutionnelle de 2007).
Participation politique au sein des structures étatiques et aux affaires qui les concernent
Il n’existe pas de mécanisme spécifique permettant la participation des peuples et personnes autochtones au sein des structures étatiques. Le collectif politique Wall Mapuwen tente actuellement de se légaliser comme parti politique. Aucun mécanisme de consultation des peuples autochtones, conforme aux standards internationaux n’est mis en place. (voir supra).
Personnalité juridique des communautés et institutions propres.
La loi 19.253 prévoyait la constitution (selon des critères établis par la loi et son règlement d’application) et la reconnaissance d’un unique modèle de « communautés fonctionnelles » (ou légales) autochtones, distinctes des institutions propres autochtones du Chili et organisées selon un schéma administratif occidental (président, secrétaire, trésoriers élus) étranger à l’organisation socio-politique et culturelle autochtone.
De nombreuses entités territoriales et organisations mapuche revendiquent la reconnaissance et le respect de leurs institutions, normes et autorités propres.
Les peuples autochtones du Chili participent activement aux rencontres internationales et régionales (Instance permanente, mécanisme d’experts de l’ONU, groupe de travail sur le projet de Déclaration américaine des droits des peuples autochtones) qui concernent les droits des peuples autochtones, ainsi qu’à la discussion de normes régionales et internationales protectrices de ces droits. (DDPA ; projet de Déclaration Américaine des droits des peuples autochtones, Convention internationale sur la diversité biologique). Ils dénoncent les violations des droits des peuples autochtones au sein des mécanismes non contentieux onusiens et de la OEA prévus à cet effet.
Au moment de l’accès du Chili à l’indépendance, les territoires occupés par le peuple mapuche, situés entre le fleuve Bio-bio et le fleuve Maule, demeuraient indépendants en vertu des traités de paix et de commerce réalisés entre les représentants des Nations Mapuche et la Couronne d’Espagne. Ce régime juridique particulier explique les débats de la convention constituante de 1828 qui s’interrogeait sur la légalité de l’incorporation des territoires mapuche au sein du territoire chilien au point qu’un député suggéra de distinguer le territoire de la Nation chilienne qui excluait les territoires mapuche de celui d’une République Plurinationale chilienne qui lui, l’incorporait.
En application du subterfuge juridique de l’internalisation des traités, une première loi du 2 juillet 1852 crée cependant la province d’Arauco au sein des territoires mapuche et une seconde du 4 décembre 1866 délimite et réduit les territoires mapuche en réserves dont la propriété soumise à un régime de protection exorbitant du droit commun est fixée par un titre de propriété intitulé Titulo de Merced. En vertu de ce processus, le vaste territoire mapuche du Chili est diminué de 90 à 95 pour cent. Les terres situées hors des réserves sont déclarées appartenir à l’Etat.
Des lois spéciales successives viendront par la suite procéder à la division des titres de Merced, tout en soumettant à une protection spéciale les titres de propriété issus de cette opération. Ce processus de division des titres de Merced, jalonné de permanentes usurpations des terres mapuche, sera suspendu le temps d’un processus de réforme agraire initié sous le gouvernement de Jorge Alessandri R. (1958-1964) et poursuivi sous les gouvernements d’Eduardo Frei M. (1964-1970) et S. Allende G. (1970-1973), reprendra sous la dictature militaire d’Augusto Pinochet U. avec les décrets-lois 2568 et 2750 de 1979.
Aujourd’hui, les revendications territoriales mapuche se fondent sur ces dernières usurpations post-titre de Merced (les seules permises par l’actuelle loi indigène), ainsi que sur l’usurpation du territoire originel mapuche engendré par la mise en œuvre des lois de 1852 et 1866.
Concernant Te Pito O Te Henua (Rapanui), en 1933, l’ensemble des terres de l’île furent déclarées appartenir au domaine public en violation, selon le peuple Maori Rapanui, du traité international dénommé « Accord de volontés » de 1888 réalisé entre le peuple Maori Rapanui de Te Pito O Te Henua et l’Etat chilien. La version Maori Rapanui du texte de l’accord, ne prévoit pas la cession de la propriété des terres de l’île à l’Etat chilien, ni celle de sa souverainété. Les revendications territoriales Te Pito O Te Henua actuelles portent sur l’annexion de l’île par l’Etat chilien, l’appropriation des terres ainsi que sur l’octroi de titres de propriété fonciers à des non autochtones.
La loi indigène 19.253 actuellement en vigueur bien que nombre de ses dispositions soient contraires à la Convention 169 de l’OIT, ne reconnait pas les territoires autochtones ni leurs droits aux ressources naturelles ; elle crée au sein de la CONADI (Corporation Nationale de Développement Indigène), un Fonds des terres et eaux autochtones, compétent sur l’ensemble du territoire chilien et prévoit trois mécanismes d’accès à la terre et aux ressources naturelles afin de poser un plafond aux revendications territoriales autochtones chaque jour plus significatives : des subventions étatiques pour l’acquisition de terres (art. 20 a), l’achat de terrains « en conflit » (20 b) et le transfert de terrains appartenant au domaine public.
Bien que ce mécanisme ait permis dans une certaine mesure de répondre à u certain pourcentage de réclamations de terres et de régulariser la propriété de quelques terrains, il s’est montré incapable de contenir l’ensemble des revendications foncières autochtones (principalement mapuche) qui muta, par l’intervention de divers facteurs, vers des opérations de récupération territoriales. Afin de contrôler une situation qui lui échappait, l’Etat chilien eut recours à la criminalisation des revendications territoriales mapuche à travers la détention de dirigeants mapuche et l’application à leur encontre de la loi anti-terroriste et la loi de sécurité intérieure de l’Etat. Pour plus d’informations concernant l’application de la loi anti-terroriste contre des mapuche, dans le cadre de conflits territoriaux, consulter Monde autochtone GITPA, ed. 2010 et 2011.
La politique de l’actuel Président S. Piñera semble prioriser la restitution de terres individuelles et non communautaires, en contradiction avec le droit international des peuples autochtones en vigueur qui promeut la protection des territoires autochtones indispensable à l’exercice du droit à l’autodétermination.
Malgré l’entrée en vigueur de la Convention 169 de l’OIT, les lois sectorielles du programme économique néolibéral chilien mis en place sous la dictature d’A. Pinochet (code des eaux de 1981, code des mines de 1983, loi générale de pêche et agriculture de 1991, loi sur les concessions en énergie géothermiques en 2000) n’ont pas été modifiées. Elles permettent l’appropriation et l’exploitation par des entreprises bien souvent multinationales des ressources naturelles des territoires autochtones ou bien sont la cause de leur contamination. A l’heure actuelle, aucune consultation conforme à la régularisation internationale en vigueur n’est réalisée ; ce manquement au respect de la Convention 169 de l’OIT a été sanctionné à plusieurs reprises par des cours d’appel chiliennes sans qu’une jurisprudence favorable aux peuples autochtones puisse s’installer au sein de la Cour Suprême (voir de nombreux articles publiés sur cette question sur le blog SOGIP et une liste de décisions de justice rendues par ces juridictions).
Concernant une liste des conflits territoriaux liés à l’exploitation des ressources naturelles des territoires autochtone ou à l’implantation de mégaprojets sur l’ensemble du territoire chilien, nous conseillons la lecture du chapitre relatif au Chili dans Monde autochtone GITPA, ed. 2008 et 2011.
La loi n° 20.249 de l’initiative de l’identité territoriale lafkenche relative à la reconnaissance et à la protection de l’espace côtier des peuples autochtones a été adoptée en 2008, afin de permettre aux communautés autochtones de l’ensemble du territoire d’accéder au territoire côtier et maritime et en faire usage conformément à leur us et coutumes traditionnels. (mécanismes et situation des sollicitudes de l’espace côtier maritime présentées par des communautés autochtones depuis 2008)
Actuellement, on recense 7 langues autochtones parlées à des degrés divers au Chili : Mapuzugun, Aymara, Quechua, Vânaga Rapanui, Likan Antay, Kawésqar, Yagan.
Au Chili, les langues des peuples Lican Antay, Kawescar, Yagan se trouvent en situation de vulnérabilité. Seule 1 personne parlerait encore le yagan, 15 personnes le kawesqar et quelques personnes le likan antay.
Selon l’enquête Casen réalisée en 2009, sur le total de la population autochtone du Chili, 12% comprennent et parlent leur langue autochtone (14.2% en 2006) ; 10.6% la comprennent seulement (14.1% en 2006) et 77.3% ne la comprennent ni la parlent (71.7% en 2006)
Une étude sociolinguistique réalisée en 2008 pour le compte de la CONADI révèle que 67% de la population mapuche de plus de 10 ans est monolingue en castillan et seulement 28,5% présentent une haute compétence linguistique en mapuche. Une autre étude réalisée en 2002 révélait que 65.7% des cas analysés signalaient posséder une compétence générale en aymara (95.2% dans l’altiplano, 62.2% dans la précordillère et seulement 38.6% dans les basses terres et pampa) ; cependant, le castillan gagnerait du terrain jour après jour. La même situation est constatée à Te Pito O Te Henua, où les enfants risquent de perdre leur langue ancestrale bien que la langue demeure parlée par la majorité des adultes.
Afin de remédier à cette situation, une école primaire de Te Pito O Te Henua, offre l’option aux élèves de suivre les 4 premières années de l’enseignement scolaire exclusivement en langue Vâgana Rapanui ou en castellan. Le professeur bilingue en Vâgana Rapanui est assisté de professeurs spécialisés en culture Maori Rapanui.La langue quechua du Chili affronterait également un processus d’extinction qui contraste avec sa vitalité en Bolivie.
Depuis 2008 fonctionnent deux académies de langues autochtones : aymara et vâgana Rapanui. Le projet de création d’une académie de langue mapuche est pour l’instant suspendu en raison de l’opposition de nombreuses organisations mapuche.
Malgré ces statistiques qui manifestent le risque futur d’extinction de diverses langues autochtones au Chili, il n’existe aucune législation sur les droits linguistiques des peuples autochtones. La loi indigène 19.253 prévoit bien un article 28 relatif à la reconnaissance, et au respect des cultures et langues autochtones ; cependant dans sa majorité, cette disposition est à caractère essentiellement programmatoire.
La loi organique constitutionnelle de l’éducation (LOCE), réformée en 2009 prévoit pour la première fois le devoir de conserver les langues autochtones (art. 29).
(on se réfèrera ici uniquement à l’enseignement scolaire indépendamment du processus éducatif propre des peuples autochtones)
Le taux d’analphabétisme autochtone est passé de 10% en 1996 à 6.1% en 2009 (contre 3% chez les non indiens) et touche dans sa majorité le milieu rural (12.9% en milieu rural et 3% en milieu urbain).
Aucun accès à l’éducation scolaire : 5.6% autochtone- 3.4% non autochtone
Niveau primaire : 34.8% autochtone- 24.7% non autochtone
Niveau secondaire : 44.7% autochtone - 48.9% non autochtone
Niveau supérieur : 11.9% autochtone – 23% non autochtone
Le Chili est l’un des derniers Etats d’Amérique latine à avoir incorporé l’éducation interculturelle bilingue au sein de son système éducatif. L’article 32 de la loi 19.253 de 1993 prévoit la mise en place d’un système d’éducation interculturelle au sein des territoires à haute densité de population autochtone. La LOCE de 2009 a été adoptée sans consulter les peuples autochtones en violation de la Convention 169 de l’OIT. Le Conseil de l’Education Nationale ne prévoit pas la participation des peuples autochtones dans le cadre de la mise en place des programmes d’Education interculturelle bilingue.
Plusieurs critiques ont été portées sur le fonctionnement de l’éducation interculturelle bilingue au Chili : un public essentiellement autochtone ; le manque de moyens et de professionnels (270 établissements scolaires dans tout le territoire en 2009), sa cible exclusivement rurale, son statut de module d’enseignement, le caractère non obligatoire de l’enseignement des langues autochtones, son absence de considération de l’enseignement supérieur. La loi de Subvention scolaire préférentielle ne se réfère pas à l’EIB.
Deux centres forment des professeurs à l’éducation interculturelle bilingue ; l’un destiné aux élèves aymara dans le nord au sein de l’Université Prat, l’autre aux élèves mapuche à l’Université Catholique de Temuco. Cependant, les professionnels trouvent difficilement un travail correspondant à leurs études.
Sous condition de ressources, de résultats et d’ascendance autochtone (remise d’un certificat par la CONADI en application des critères de la loi indigène n°19.253). Il existe de nombreuses résidences scolaires et universitaires pour étudiants autochtones.
Le Chili connait de nombreuses expériences de centres de santé qui associent au sein d’un même espace médecine occidentale et médecine mapuche (chaque spécialiste exerçant sa propre connaissance, occidentale ou autochtone). Accessibles aux patients autochtones et non autochtones, ils rencontrent un vif succès auprès des deux populations et incorporent les machi (shaman) : hôpital Makewe, centre de santé interculturel Rakin Mogen Boroa Filulawen (Nueva Imperial), hôpital interculturel de Nueva Imperial, centre de santé interculturel de Santiago de Chile (alliance entre l’Université du Chili de Santiago et le réseau de santé interculturelle mapuche warriache).