Le droit des peuples autochtones à l’autodétermination est le principe fondamental inscrit à l’article 3 de la Déclaration des Nations sur les Droits des Peuples Autochtones. En Australie, le concept d’autodétermination est associé à la politique du même nom initiée en 1972 par le gouvernement Whitlam. Dans les années 1990, cette politique a été vivement critiquée pour n’avoir pas apporté les résultats escomptés en termes d’amélioration des conditions de vie des Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres. Après une décennie de « réconciliation pratique » caractérisée par l’octroi conditionnel de services publics, le gouvernement de Kevin Rudd et son successeur, a affiché sa volonté de « réinitialiser » (re-set) la relation entre le gouvernement et les peuples autochtones : excuses officielles et soutien apporté à la Déclaration en témoignent.
Un des apports de la politique d’autodétermination est l’existence aujourd’hui de plusieurs milliers d’organisations autochtones en Australie. De divers types et fonctions, ces organisations sont le principal véhicule de représentation et de participation politique des autochtones. Elles sont aussi le cadre dans lequel se rencontrent les différentes institutions participant du champ autochtone :
Les organisations autochtones sont au cœur de ce projet de recherche en tant que point d’articulation, lieux dans lesquels s’opèrent des circulations entre différentes échelles et différents acteurs : circulation de discours, de normes, de pratiques et de représentations qu’il s’agira de mettre en lumière pour éclairer les conditions concrètes de réalisation du principe d’autodétermination.
L’achat et la récupération de terres par les Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres à hauteur de 20% du territoire australien représente une avancée majeure en termes de droits et de récupération d’une autonomie économique. La dernière décennie a vu le développement, au niveau local, de programmes de gestion des ressources culturelles et naturelles (équipes de rangers, Indigenous Protected Areas) qui sont à la source d’une économie dite « hybride » où s’entrecroisent les secteurs de subsistance, du marché et de l’Etat (Altman 2001). Ces programmes permettent l’émergence de nouvelles formes de gouvernance dans lesquelles sont intégrées les autorités autochtones liées au domaine rituel. Mis en réseau à un niveau régional puis national, articulés aux préoccupations environnementales globales, ces programmes semblent transformer le paysage économique et politique contemporain de l’Australie à travers une gestion « two-way » de l’environnement. Permettraient-ils de résoudre la tension entre égalité des chances et maintien des singularités culturelles autochtones ?
En examinant le déterminations légales, anthropologiques et historiques qui pèsent sur la reconnaissance des territorialités autochtones, il s’agit ici d’interroger les conditions de possibilité et les significations d’une autonomie autochtone fondée sur la territorialité. La recherche permettra de mettre en lumière les dimensions culturelles et historiques spécifiques qui nourrissent les modèles autochtones de « bien vivre » tout en intégrant les partenariats, collaborations et articulations qui les rendent possible dans les contextes australien et global.
Par définition, les autochtones se définissent et/ou sont définis par rapports à des non-autochtones. En Australie, ces questions ont une profondeur historique, légale et institutionnelle certaine qui contraint la manière dont les autochtones peuvent formuler leurs revendications, identités et aspirations. En outre les représentations et imaginaires liés aux autochtones australiens – la plus vieille culture du monde menacée dans son authenticité – pèsent largement sur les politiques de la différence. La récente Intervention d’Urgence dans le Territoire du Nord (2007) témoigne de l’acuité et de l’actualité de ces questions.
Quel peut être l’impact du soutien officiel à la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones ? Comment comprendre le changement d’attitude du gouvernement australien après son vote négatif initial ? En analysant les mesures institutionnelles et en les confrontant aux données de terrain, ce projet entend répondre à ces questions à travers :
DISCLAIMER : Dans ces pages de présentation, j’utilise les termes d’Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres ou le terme générique d’autochtones pour designer les descendants des premiers habitants de l’Australie actuelle. La diversité des peuples autochtones d’Australie se traduit dans la diversité des noms qu’ils se donnent, découlant d’affiliations sociales, territoriales ou encore des circonstances historiques dans lesquelles ils ont eu à se définir. SOGIP et ses membres reconnaissent et valorisent la diversité culturelle, sociale et historique des peuples autochtones de l’Australie, tout en ayant conscience des manières dont les termes génériques ont été utilisés dans le cadre de politiques discriminatoires ; partout où cela est possible, j’utilise les noms choisis par les acteurs eux-mêmes.
SOURCES : Australian Bureau of Statistics 2010, National Aboriginal and Torres Strait Islanders Social Survey 2008, Recensement national 2006, HREOC 2008.
L’Australie est un pays relativement peu peuplé, avec une superficie totale de 7 682 300 km2 et une densité moyenne de 2,5 habitants/km2. Etant donné l’immensité du pays, ces chiffres recouvrent mal la très grande diversité de situations entre des régions urbaines très densément peuplées (côte est et sud-est) et de vastes régions continentales qui seraient désertiques sans la présence autochtone.
Les autochtones en Australie - Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres - représentent en 2010 517 000 personnes, soit 2,5% de la population totale de l’Australie (environ 22 millions). Selon les chiffres du recensement national, parmi la population autochtone, 90% sont Aborigènes, 6% Insulaires et 4% d’ascendance mixte entre les deux peuples.
Table 1 : Location of Indigenous peoples - by State and Territory (2006)
Cette population jeune (l’âge médian est de 21 ans contre 37 pour le reste de la population) croît à un rythme plus important que le reste de la population (2,5 enfants par femmes contre 1,9) : +13% entre les recensements de 2001 et 2006.
La répartition de la population autochtone reflète celle du reste de la population, majoritairement urbaine, avec 75% des autochtones vivant en zone urbaine et périurbaine. Cependant, la part de la population autochtone habitant les zones rurales et reculées, 25%, est bien plus importante que celle des autres Australiens, et leur distribution plus diffuse.
L’Australie est une monarchie parlementaire avec une division fédérale des pouvoirs, selon la Constitution de 1901. Si la Reine d’Angleterre, représentée par le Gouverneur Général, est officiellement le chef de l’Etat, c’est le Premier Ministre (chef de la majorité parlementaire) qui détient le pouvoir exécutif dont il est responsable devant le Parlement (Sénat et Chambre des Représentants).
L’Australie est divisée en six Etats et trois Territoires :
Australie Occidentale, Australie Méridionale, Nouvelle-Galle-du-Sud, Queensland, Tasmanie, Victoria , Territoire de la Capitale d’Australie, Territoire du Nord et Territoire de Norfolk Island. Chaque Etat possède son propre Parlement composé de deux chambres, à l’exception du Queensland et du Territoire de la Capitale Australienne.
Le Parlement fédéral, élu pour trois ans, fixe les orientations générales et a compétence en matières de diplomatie, de fiscalité et de défense notamment. Les Parlements des Etats et Territoires détiennent des compétences très étendues en matière de droit commun : éducation, transports, environnement, énergie, santé, police, agriculture, droit pénal. Chaque Etat possède son propre système juridique allant du niveau local (magistrate court) à une Cour Suprême. Le partage des compétences entre le niveau fédéral et le niveau des Etats est sujet à de constants débats, notamment en matière de redistribution fiscale. La Haute Cour, juridiction suprême du système juridique australien (dualiste et de common law) est notamment chargée d’arbitrer les différends opposant les Etats ou Territoires à l’Etat fédéral. Le troisième niveau de gouvernement est local : villes, agglomérations, cantons, en fonction des Etats ou régions.
Peu de lois fédérales, à l’exception du Native Title Act 1993, traitent directement des questions autochtones qui font plus souvent l’objet de politiques publiques : la campagne "Closing the Gap" en est la manifestation contemporaine. Elle vise à amener les autochtones au même niveau que le reste de la population australienne sur quelques indicateurs clés, en particulier dans les domaines de la santé et de l’éducation.
Quelques indicateurs socioéconomiques autochtones :
NB : Ces chiffres reflètent mal la diversité des situations autochtones. Selon le recensement australien de 2006, 50% des Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres se situent dans la moyenne nationale.
Instances internationales
L’Australie était un des Etats rédacteur de la Charte des Nations Unies. Elle est également signataire de la plupart des traités et conventions internationales établissant les droits de l’homme. En avril 2009, le gouvernement australien a annoncé son soutien officiel à la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones. Le 27 janvier 2011, l’Australie a passé son Examen Périodique Universel devant le Conseil des Droits de l’Homme à Genève (rapports en ligne).
Inscription régionale
Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale et le déclin de l’empire colonial britannique, l’Australie a recherché une inscription régionale accrue dans la zone Asie-Pacifique au travers de la coopération internationale, de ses programmes d’aides et de ses opérations de défense et maintien de la paix.
L’Australie est membre de l’APEC, organisation économique réunissant les pays riverains du Pacifique. Elle est également partenaire de l’ASEAN, organisation de coopération politique et économique régionale. Elle est devenu membre du Traité d’Amitié et de Coopération dans l’Asie du Sud-est en 2005 et a signé en 2007 avec l’ASEAN un projet de partenariat approfondi. Enfin, elle participe au Sommet d’Asie de l’Est depuis sa création en 2005. Outre le commerce, ce que l’Australie présente comme des menaces terroristes, particulièrement en provenance d’Indonésie sont au cœur de ses intérêts et opérations stratégiques.
L’Australie est également membre du Forum des Iles du Pacifique créé en 1971 à Wellington dont elle est, avec la Nouvelle Zélande le principal financeur. Ces deux pays promeuvent aujourd’hui un accord de libre échange dans le Pacifique Sud encours de discussion (PACER-Plus). Au cours des années 1990 et plus particulièrement après les attentats du 11 septembre 2001, l’Australie, dans le cadre de ses relations bilatérales avec les Etats-Unis a redéfini son rôle dans la région Pacifique. Elle n’est plus seulement un pays donneur d’aide mais également une puissance militaire dans ce qu’elle considère comme « l’arc d’instabilité mélanésien » (interventions à Bougainville en 1998, dans les Iles Salomon en 2003 et au Timor Leste en 2006). Elle maintient également d’étroites relations politiques et économiques avec son ancienne colonie de Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Les Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres entretiennent de longue date des relations culturelles, politiques et d’échange à l’international, avec notamment la Papouasie et l’Indonésie. Au début du XXème siècle l’internationalisme noir et les théories de libération de Marcus Garvey parvinrent en Australie où elles furent appropriées par des militants autochtones (Maynard 2007).
Avec la mise en place d’organisations représentatives nationales dans les années 1970, les autochtones australiens ont participé à la formation du mouvement autochtone global dès la formation du World Council of Indigenous Peoples (1977). Depuis lors, des Aborigènes et Insulaires ont participé activement aux instances autochtones de l’ONU, notamment Les Malezer, Tom Calma ou Mick Dodson. En 2009, la juriste autochtone Megan Davis a été nommée membre de l’Instance Permanente sur les Questions Autochtones.
Après l’abolition d’ATSIC en 2005, le Congrès National des Peuples Premiers d’Australie, organisme soutenu par la Commission des Droits de l’Homme australienne représente la première tentative formelle de rétablir une organisation représentative autochtone à l’échelle fédérale. La première réunion officielle des 120 délégués au Congrès, ainsi que les élections du premier bureau exécutif ont eu lieu en juin 2011. En parallèle, le réseau informel de l’Indigenous Peoples Organisations, formé de membres d’organisations autochtones poursuit un travail de lobbying et de représentation.
Il n’existe pas d’organisation régionale autochtone formelle dans le Pacifique ou dans la région Asie-Pacifique. Cela dit, certains forums, comme le Festival des Arts du Pacifique sont l’occasion de rencontres et d’échanges entre membres des peuples autochtones de toute la région. A l’ONU, le Caucus Autochtone du Pacifique a joué un rôle important de mise en lien des militants de la région, œuvré pour le vote final de la Déclaration et continue de participer aux débats des instances autochtones. En outre, de nombreux individus – chercheurs, militants, responsables d’organisations – entretiennent des relations avec d’autres autochtones dans le monde entier, avec une affinité particulière pour les autres membres de l’Anglosphère. Ces relations sont une source importante de réflexion et du renouvellement du discours politique autochtone en Australie.
Septembre 2010 : Ken Wyatt, membre du parti conservateur, est le premier député autochtone élu au suffrage universel. Auparavant deux sénateurs autochtones l’avaient précédé à la chambre haute du Parlement : Neville Bonner et Aden Ridgeway. La même année, le premier parti politique aborigène est officiellement enregistré. Du fait de leur faible poids démographique (2,5% de la population totale), les autochtones d’Australie parviennent difficilement à faire valoir leurs intérêts au sein des institutions démocratiques. Si le nombre d’élus est plus important au niveau des Etats et Territoires, il reste cependant largement minoritaire.
Les droits de citoyenneté n’ont été progressivement octroyé aux Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres par les différents Etats et Territoires qu’à partir des années 1960. Jusqu’au référendum constitutionnel de 1967, ils n’étaient pas intégrés au recensement national. Le désavantage économique et social rencontré par une majorité d’autochtones reste cependant une barrière à une participation politique effective.
Le tournant en matière de droits autochtones est le passage, en 1972, par le gouvernement travailliste de Gough Whitlam, à une politique d’autodétermination en faveur des Aborigènes. Depuis 1967, le gouvernement fédéral était autorisé à légiférer sur les questions autochtones ; auparavant ces questions ne relevaient que de la compétence des Etats. L’adoption de la politique d’autodétermination mit fin à plus d’un siècle de régimes juridiques et administratifs distincts contrôlant les vies autochtones jusque dans leurs moindres aspects.
Ces politiques furent officiellement établies dans une optique de « protection » (1850-1950) puis dans une perspective « d’assimilation » (1950-1972). Dans les différents Etats et Territoires, les autochtones furent regroupés au sein de diverses institutions – prisons, missions, réserves, hôpitaux, orphelinats, stations d’élevage de bétail.
Les lois– inspirées de l’eugénisme et du darwinisme social – établirent des distinctions en fonction des quotas de sang, vouant les autochtones « purs » à une disparition à court terme et les métis à une absorption biologique et culturelle dans le reste de la population australienne. C’est en vertu de ces lois qu’entre le début du 20è siècle et 1972, des milliers d’enfants furent enlevés à leurs parents autochtones pour être éduqués dans des institutions blanches dans le déni de leurs origines : ce sont les « Générations Volées » auxquelles le Premier Ministre Rudd a présenté des excuses officielles en 2008.
A partir des années 1970, sous l’impulsion de mouvements militants dirigés par des Aborigènes et du gouvernement Whitlam, se met en place le cadre juridique et administratif devant mener à une autodétermination ou autogestion autochtone et au respect de leurs droits :
La politique à l’égard des autochtones en Australie se caractérise par une tension structurelle entre aspiration à l’égalité et maintien de la différence culturelle (voir par exemple Kowal 2010, Stokes 2002).
La politique d’autodétermination a permis l’émergence d’une bureaucratie autochtone et d’autorités administratives qui, en de nombreux endroits, agissent en parallèle, parfois en contradiction, avec les autorités traditionnelles et les mouvements militant. Les systèmes classiques d’autorité localisée des autochtones posent d’énormes problèmes à une structure politique et administrative centralisée dans son fonctionnement et fragmentée de par sa structure fédérale. Les organisations autochtones constituent autant d’espaces interculturels de négociation entre ces autorités ainsi qu’avec l’Etat. Cependant le contrôle administratif et financier accru des organisations limite leur capacité à concilier ces différents régimes.
Le champ des affaires aborigènes, ou ce que Tim Rowse (1992) définit comme « le secteur autochtone » est pluriel et ne peut pas se concevoir sur une opposition stricte entre autochtones et non-autochtones. Différents modèles s’affrontent, mettant au premier plan l’intégration économique, l’éducation, les droits fonciers, la reconnaissance constitutionnelle ou encore la mise en œuvre des droits collectifs tels que définis dans l’UNDRIP.
En l’absence de charte des droits fondamentaux au sein de la Constitution australienne, les mécanismes de mise en œuvre des droits autochtones restent fragiles. La reconnaissance constitutionnelle des autochtones dans trois Etats - Nouvelle-Galle-du-Sud, Queensland, Victoria – reste très limitée en termes de droits. Le gouvernement élu en 2010 a annoncé pour 2013 la tenue d’une référendum pour la reconnaissance constitutionnelle des autochtones et de leurs droits (voir le site du Comité d’Expert sur la reconnaissance constitutionnelle des autochtones).
Si l’Australie est un promoteur historique des droits de l’homme au niveau international, son attitude au niveau national est plus ambiguë. Sous le gouvernement conservateur de John Howard (1996-2007), la politique d’autodétermination a été vivement critiquée donnant lieu à plusieurs législations condamnées par les organismes des droits de l’homme et suscitant de vifs débats en Australie. Parmi elles, les plus importantes sont les Amendements au Native Title Act de 1998, et la Réponse d’Urgence dans le Territoire du Nord (2007). En janvier 2011, l’Australie a passé devant le Conseil des Droits de l’Homme son premier Examen Périodique Universel (rapport des organes des traités). L’attention des instance internationales est d’autant plus minutieuse que les Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres participent de longue date aux instances autochtones des Nations Unies.
En 2010, environ 20% du territoire australien est reconnu comme terre autochtone, sous une variété de titres, régimes et statuts reconnaissant divers droits et intérêts aux propriétaires, traditionnels ou non. La majorité de ces terres se trouve dans les régions du Nord et du Centre, où la proportion autochtone de la population est la plus grande et l’urbanisation limitée. Après deux siècles de colonisation légitimée par la doctrine juridique de terra nullius – l’absence de sociétés civilisées sur les territoires concernés – la part des terres autochtones aujourd’hui témoigne de l’avancée du processus de réconciliation.
La date de 1788 marque l’acquisition unilatérale de la souveraineté par la Couronne d’Australie, y compris territoriale. La Couronne transféra cette souveraineté aux colonies à leur indépendance et à la fédération d’Australie, lors de sa Constitution en 1901. Cette acquisition fut légitimée par les cours australiennes a posteriori en vertu de la doctrine internationale de terra nullius et de la doctrine des terres désertes et non cultivées selon la common law.
L’acquisition de la propriété foncière par la Couronne annulait de facto celle des autochtones, rendant illégale leur présence sur le territoire et l’assertion de la validité de leurs lois, pays et sociétés. Cela permit l’appropriation du territoire, le déplacement et le cantonnement des populations autochtones, leur mise sous tutelle et la répression sanglante de leurs résistances.
Si les peuples autochtones d’Australie ont toujours combattu la dépossession coloniale de leur souveraineté et territoires, c’est seulement au cours du 20ème siècle qu’ils parvinrent de haute lutte à faire reconnaître leurs droits fonciers par les tribunaux australiens.
Les pétitions peintes sur écorce déposées au Parlement en 1963 (texte ici) par les clans Yolngu contre l’implantation d’une mine de bauxite sur leur territoire constitue le premier grand moment public de la lutte pour les droits fonciers land rights et la reconnaissance d’un titre autochtone. Le juge Blackburn reconnut l’existence de lois autochtones. Il estima cependant qu’elles ne donnaient pas lieu à des droits de propriété. Ce jugement (Millirrpum v Nabalco) suscita l’enquête de la commission Woodward qui déboucha sur l’adoption en 1976 de l’Aboriginal Land Rights Act (NT) , première loi permettant à des collectifs autochtones de récupérer leurs terres traditionnelles.
En 1992, la Haute Cour délivra le jugement Mabo 2 qui, au terme de 10 ans de procédure, reconnaît l’existence d’un titre autochtone (native title) dans la common law australienne. Bien que reconnu pour l’île de Mériam dans le Détroit de Torres, pays d’Edward Koiki Mabo, le jugement avait des implications pour l’ensemble du continent australien. En effet, le Native Title Act 1993 (Cwth) étend la possibilité pour des groupes autochtones de se voir reconnaître leur titre autochtone à l’ensemble du territoire australien s’ils peuvent démontrer l’occupation du territoire, l’existence de lois et coutumes portant sur la propriété foncière et leur maintien.
Le jugement Mabo eut un effet retentissant en Australie, créant une vague de protestation parmi les lobbys miniers, les éleveurs, et même les particuliers, craignant de voir remettre en cause l’accès aux ressources du territoire ou leurs titres existant. Les Amendements au Native Title Actvotés en 1998 par le gouvernement Howard, régulièrement condamnés par les organismes des droits de l’homme (en particulier le CERD), limitèrent les possibilités de coexistence du titre autochtone avec d’autres titres fonciers, complexifièrent les procédures d’enregistrement des plaintes et alourdirent le fardeau de la preuve pour les plaignants autochtones.
En l’état actuel, le Native Title Act présente de nombreuses limites : exclusion d’un grand nombre de groupes des procédures, politique d’achats compensatoires limitée, divisions internes créées par les procédures, durée des procédures et fardeau de la preuve pour les groupes autochtones sans ressources adéquates, etc. Les condamnations et recommandations régulières des instances internationales témoignent des limites du dispositif : Comité pour l’Elimination de toutes les formes de Discrimination Raciale, Conseil des Droits de l’Homme, Conseil des Droits Economiques Sociaux et Culturels, Rapporteur Spécial sur les Droits de l’Homme et les Libertés Fondamentales des Peuples Autochtones.
La procédure du Native Title exhibe les aspects de ce que Deborah Bird Rose a qualifié de colonialisme profond : « la conquête inscrite dans les institutions censées renverser les injustices coloniales » (1996).
La jurisprudence du Native Title Act a, en outre, remplacé la doctrine de terra nullius par celle de l’extinction. Selon cette doctrine, les tribunaux et le Parlement australiens peuvent légitimement éteindre les droits et intérêts fonciers des autochtones. Cette attitude est contraire au droit international qui admet la souveraineté permanente des peuples autochtones sur leurs terres et ressources (E/CN.4/Sub.2/2004/30).
Dans la mesure où l’exploitation des ressources naturelles, en particulier minières, est le moteur de la croissance économique australienne, le respect des droits des peuples autochtones s’y trouve souvent subordonné. Plusieurs conflits sont actuellement en cours concernant l’installation d’un site de stockage de déchets nucléaires dans le désert central, l’implantation d’une usine de traitement du gaz naturel sur la côte du Kimberley ou encore la protection des écosystèmes riverains dans la Péninsule du Cap York. Partout, le potentiel économique du secteur minier est en tension avec les préoccupations environnementales, les droits des autochtones et leur situation de grande pauvreté.
Malgré ses limites, le Native Title Act, en instituant un droit de négociation pour les détenteurs du titre, même potentiels, a ouvert de nouvelles possibilités telles que les Indigenous Land Use Agreements – négociées avec les Etats ou des compagnies privées. Ces accords sont recensés, ainsi que de nombreux autres, sur le site Agreements, Treaties and Negotiated Settlements Project. Les Indigenous Protected Areas – parcs nationaux gérés par les propriétaires traditionnels – font partie d’un ensemble d’initiatives du Ministère de l’Environnement : Indigenous Australians Caring for Country.
Avec un accès accru à leurs territoires, sous une variété de régimes, les autochtones d’Australie se sont engagés dans la gestion de leurs ressources naturelles et culturelles, activités réunies sous le terme de « Caring for Country » (par exemple dans le Top End) ou « Looking After Country ». Des équipes locales à la conférence nationale, un réseau autochtone de « land managers » se développe depuis quelques années, offrant de nouvelles possibilités de développement économique durable.
Les linguistes australiens estiment a près de 250 le nombre de langue parlées en Australie au début de la colonisation, et plus de cinq cents dialectes. L’Australie a été décrite comme le pays qui a connu, au cours du dernier siècle , la perte de langues la plus massive et la plus rapide de tous les pays. Sur les 145 langues autochtones encore parlées, plus de 110 sont dans un état critique ou sévèrement menacées et seules 18 paraissent robustes (NILS 2005). Les langues autochtones les plus parlées sont récentes, nées du contact colonial et devenues langues maternelles et de communication : le Kriol (20 000 locuteurs dans le nord et le centre de l’Australie) et le Broken des Iles du Détroit de Torres.
Le gouvernement fédéral a annoncé en 2009 une « approche nationale pour les langues autochtones » qui n’apporte aucun financement supplémentaire au programme Maintenance of Indigenous Languages and Records. Dans les faits les Etats et Territoires, qui contrôlent l’éducation, ont en charge les politiques d’enseignement des langues, mal appliquées, à l’exception notable de la Nouvelle-Galles-du-Sud. Bien souvent, l’éducation et l’enregistrement des langues autochtones est pris en charge par des centres de langues régionaux ou locaux, voire par les communautés elles-mêmes. Les services de traduction et d’interprétariat en langues autochtones restent largement embryonnaires par rapport aux ressources offertes aux autres Australiens non-anglophones (voir Social Justice Report 2009, chap. 3)
Un écart significatif se maintient en termes d’accès, de suivi et de réussite entre élèves autochtones et non-autochtones en Australie. La réussite scolaire des autochtones et leur accès à l’emploi sont parmi les principaux objectifs de la politique « Closing the Gap » adoptée par l’ensemble des gouvernements australiens. Chaque Etat et territoire a également adopté une politique en matière d’éducation autochtone.
Les droits à l’éducation incluent également pour les autochtones le droit à suivre un enseignement dans leur(s) langue(s) et selon leurs propres systèmes de savoir. L’éducation bilingue, ou « two-way » fut instituée en 1974 dans certaines écoles de communautés du Territoire du Nord et d’Australie Occidentale. Depuis, de nombreux débats ont agité les cercles académiques et politiques quant à leur pertinence. L’inclusion des langues et cultures locales dans le curriculum dépend de l’attitude de l’Etat et de la marge de manœuvre laissé aux écoles locales. Dans le Territoire du Nord, malgré de nombreuses études qui en démontrent les bienfaits, les programmes d’éducation bilingues sont régulièrement attaqués et ont été drastiquement réduit dans le cadre de l’Intervention d ‘Urgence dans le Territoire du Nord (2007) ; les quatre premières heures d’enseignement doivent être impérativement effectuées en anglais.
Après avoir arrêté de financer les programmes bilingues dans le Territoire du Nord en 1996, le Parlement territorial les a renouvelés en 1998. En 2009, le Parlement du Territoire du Nord a imposé que les quatre premières heures d’enseignement dans le primaire et le secondaire soient en anglais.
Présents en Australie depuis plus de 40 000 ans, les Aborigènes et Insulaires du détroit de Torres ont développé et continuent de vivre des cultures riches et variées. Si le Dreaming ou la Loi est un cadre conceptuel commun, ses manifestations locales et le renouvellement dynamique de ses formes culturelles attestent de sociétés valorisant l’échange et la différentiation.
Les arts autochtones ont acquis depuis les années 1970 une visibilité accrue et une renommée internationale. Les créateurs aborigènes et insulaires du Détroit de Torres ont investi tous les champs de la création : peinture, sculpture, musique, danse, cinéma, théâtre, littérature, etc. Les festivals culturels tels que Garma, Laura ou le Dreaming sont des lieux démontrant la vitalité des cultures autochtones contemporaines puisant aux sources ancestrales. Il en existe de nombreux autres, à portée plus locale ou régionale. Chaque année les Deadlys récompensent les meilleurs musiciens, artistes et sportifs tandis que le Telstra National Aboriginal and Torres Strait Islanders Art Award récompense les meilleurs peintres et sculpteurs.
Les gouvernements australiens ont activement promu les cultures autochtones en tant que patrimoine national à partir des années 1970s dans une optique de réconciliation. Cette reconnaissance culturelle et artistique ne s’accompagne pourtant pas d’une reconnaissance formelle des peuples et sociétés qui leur donnent naissance.