Coordonné par :
Irène Bellier, Directrice de Recherche au CNRS, LAIOS-IIAC et Martin Préaud, postdoctorant SOGIP.
Présentation :
Ce séminaire du LAIOS, animé par les membres de l’équipe SOGIP (ERC 249 236), s’inscrit dans la perspective ouverte par l’adoption en 2007 de la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones. En constituant un nouveau sujet du droit international à la fois en deçà et par-delà des États-nations constitués, la Déclaration suscite de nombreuses réflexions quant à la mise en œuvre du principe d’autodétermination et à ses ramifications politiques globales aussi bien que locales. Le séminaire abordera la question de la circulation, de l’appropriation ou du respect des standards énoncés dans la Déclaration, par les Etats et les organisations des peuples autochtones, ainsi que d’autres acteurs, tels que les compagnies minières transnationales ou les organisations de défense des droits de l’homme. Quelles sont les conditions de possibilité et les formes d’une autonomie politique pour les peuples autochtones ? Comment la reconnaissance globalisée des peuples autochtones pèse-t-elle sur leurs projets de société ? Entre protection des différences culturelles et inscription dans la modernité, comment surmontent-ils les contradictions des programmes internationaux , des politiques nationales et des attentes locales ? Chaque séance sera le lieu d’une comparaison entre des configurations nationales distinctes afin de dégager les enjeux et les impacts de la Déclaration, grâce à la présentation d’études de cas, suivie d’une discussion comparatiste et critique.
Bilan du séminaire pour l’année 2011-2012 :
Planning :
2e jeudi du mois de 9 h à 13 h, du 10 novembre 2011 au 12 avril 2012, au 96 ou 105 bd Raspail ou 190 avenue de France, 75013 Paris, suivant les séances, 75006 Paris.
1) 10 novembre 2011 — (salle 2, 105 bd Raspail)
Approches anthropologiques de la Déclaration des Droits des Peuples Autochtones : regards croisés depuis les terrains des Nations Unies et de l’Australie
A partir d’une analyse du processus de la négociation, Irène Bellier présentera la dynamique relationnelle qui s’est construite sur la scène des Nations unies entre les acteurs indigènes/autochtones, gouvernementaux et internationaux, ainsi que les enjeux épistémologiques, juridiques et politiques de la Déclaration.
Martin Préaud retracera et analysera les attitudes changeantes de l’Etat australien sur la scène internationale vis-à-vis des droits autochtones, interrogeant l’écart entre développements légaux et institutionnels et revendications autochtones à la lumière de l’Examen Périodique Universel de l’Australie en janvier 2011.
2) 8 décembre 2011 — (salle M. & D. Lombard, 96 bd Raspail)
Les droits des peuples autochtones dans l’espace français : dilemmes de la reconnaissance
Thomas Pierre (IIAC-EHESS) : « Pays basque : l’autochtonie contre l’autochtone ? »
Notre intervention portera essentiellement sur la partie française du Pays basque ou Euskal Herria, littéralement le « Pays de la langue basque », au regard de la position de la France sur la Déclaration des Droits des Peuples Autochtones. Pour rendre compte de la manière dont le registre de l’autochtonie affecte les stratégies adoptées et les catégories utilisées, nous témoignerons des postures respectives de trois groupes d’acteurs, les pouvoirs publics, les militants de la cause basque et les opposants à toute forme d’institutionnalisation de l’expression basque. Nous nous consacrerons tout particulièrement à décrire la manière dont ces différents acteurs instrumentalisent, réinvestissent, contournent et/ou reformulent l’idée de singularité basque, socle à partir duquel s’est historiquement construite l’ethnogenèse locale. En effet, l’idée de singularité basque sert-elle à revendiquer le droit à la différence (autochtonie) ou justifie-t-elle la revendication du droit à l’égalité (citoyenneté, parité culturalo-linguistique) ?
Benoît Trépied (CNRS-CREDO, membre de l’équipe SOGIP) : « Des réappropriations concurrentes ? Nationalistes kanak, Etat français et mouvement ‘néo-coutumier’ en Nouvelle-Calédonie face aux droits des peuples autochtones. »
Cet exposé a pour but d’examiner les conditions et les limites de l’introduction et de la reconnaissance du registre onusien de l’autochtonie en Nouvelle-Calédonie, en tant que reformulation inédite d’une revendication d’autodétermination et de souveraineté en dehors du schéma « classique » de l’indépendance statutaire. Il se penchera en particulier sur les diverses réappropriations dont ce registre a fait l’objet depuis une décennie environ, de la part des leaders indépendantistes kanak, des dirigeants de l’Etat français, et des représentants dits « coutumiers ». De fait, pour l’ensemble de ces acteurs et par-delà leurs différences et leurs oppositions, la question des droits autochtones proclamés par les Nations Unies en 2007 est systématiquement pensée en référence à l’Accord de Nouméa, signé en 1998 et qui organise dans l’archipel un processus sans précédent de décolonisation progressive jusqu’en 2018. Nous tenterons dès lors d’examiner dans quelle mesure les différentes significations que revêt le registre de l’autochtonie en Nouvelle-Calédonie peuvent renvoyer à la pluralité des perspectives politiques ouvertes par l’Accord de Nouméa lui-même.
Stéphanie Guyon (MCF Université d’Amiens-CURAPP, membre de l’équipe SOGIP) : « Contraintes institutionnelles et crise du mouvement amérindien : le déclin de l’autochtonie en Guyane »
La référence à l’autochtonie a été centrale dans le processus de constitution et d’institutionnalisation du mouvement amérindien de Guyane du début des années 1980 à la fin des années 1990. A la fin des années 1980, bien que de manière relativement détournée, l’Etat français a satisfait de fait certaines revendications formulées au nom de l’autochtonie en élaborant un dispositif foncier spécifique aux Amérindiens et Noirs-marrons. Toutefois aucun autre dispositif « autochtone » n’a été mis en œuvre depuis lors. Nous analyserons cette absence de prise en compte de l’autochtonie dans les politiques publiques au regard de la configuration politique et institutionnelle de ce département d’outre-mer. Nous envisagerons également les liens entre cette spécificité institutionnelle et la crise que traverse le mouvement amérindien depuis 10 ans.
3) 12 janvier 2012 — (salle M. & D. Lombard, 96 bd Raspail)
Effets de la Déclaration dans le monde latino-américain : la question des autonomies autochtones : Bolivie, Mexique, Panama, Colombie
Interventions de Christian Gros (professeur émérite, IHEAL-Sorbonne Nouvelle) « Autonomie et gouvernance en territoires indigènes : le cas de la Colombie et de Panama »
Verónica González (doctorante, SOGIP-LAIOS), « L’autonomie autochtone au Mexique : l’espace autochtone dans le cadre de l’Etat multiculturel »
Notre exposé cherchera à explorer les défis auxquels les institutions autochtones doivent faire face au sein d’un Etat multiculturel qui reconnait l’autonomie autochtone, comme le Mexique. Dans une première partie nous essayerons de donner un panorama général sur le concept d’« autonomie autochtone » dans ce pays. L’idée d’avoir un espace où prendre des décisions et conserver son identité et ses institutions traditionnelles a toujours existé chez les peuples autochtones du Mexique. Néanmoins, cette revendication a été formulée de manière différente selon les diverses étapes historiques et politiques du pays (indépendance, révolution, mouvement autochtone des années 70, armée zapatiste). A l’heure actuelle, cela trouve écho dans le concept d’« autonomie autochtone », un terme atterri au Mexique dans le contexte de la reconnaissance des droits des peuples autochtones au niveau international. Ce concept a été mobilisé par le mouvement autochtone national et aujourd’hui il est mis en ouvre par plusieurs peuples autochtones au Mexique. Cette pratique se déroule en dehors de l’espace institutionnel officiel car l’Etat mexicain n’a reconnu officiellement aucune forme concrète d’autonomie autochtone, malgré le fait qu’il ait depuis longtemps intégré dans sa Constitution - conformément à sa filiation multiculturaliste - le droit de ces peuples à l’autonomie. Compte tenu de ce contexte, nous allons aborder, dans la deuxième partie de notre intervention, les cas de certaines institutions autochtones (Caracoles et Juntas de buen gobierno zapatistes, la Police communautaire au Guerrero…), qui ont vu le jour à partir des débats sur l’autonomie autochtone au niveau national ; nous verrons comment ces institutions devraient permettre aux peuples autochtones du Mexique de créer et défendre un espace propre d’autonomie.
Laurent Lacroix (SOGIP-LAIOS ; CREDA-IHEAL), « L’institutionnalisation des autonomies autochtones en Bolivie : un premier état des lieux »
Cette communication tente de faire le point sur la mise en place des autonomies indigène originaire paysannes en Bolivie depuis leur constitutionnalisation en 2009. D’un point de vue historique, la revendication d’autonomie autochtone y apparaît de manière concomitante avec l’émergence des premières organisations autochtones indépendantes du pouvoir politique au début des années 1980. La formulation de cette demande évolue au cours des différentes phases politiques précédant le processus actuel, modifiant le lien entre autonomie et autodétermination. La constitution bolivienne de 2009 répond aux revendications historiques des organisations autochtones du pays et considère l’intégralité de la Déclaration des Nations Unies. Elle prévoit l’instauration d’autonomies autochtones dans la nouvelle organisation politico-administrative d’un Etat plurinational en construction. En ce sens, la grande charte bolivienne va au-delà du texte international et définit des procédures particulières pour mettre en place ces autonomies autochtones. Dans plusieurs localités, celles-ci sont en cours de constitution.
Cette communication relève les avancées et les ambiguïtés relatives à la mise en place de ces autonomies autochtones. Elle met en évidence les enjeux autour du principe d’autodétermination des peuples autochtones et les luttes de pouvoir et de légitimité pour contrôler les modalités d’instauration de l’Etat plurinational.
4) 9 février 2012 — (190 avenue de France, 75013 Paris. Salle Jean-Pierre Vernant, 8ème étage)
La participation des autochtones à la gestion des ressources naturelles et culturelles : regards croisés entre l’Australie et le Canada
Interventions de :
Martin Préaud (postdoctorant SOGIP, LAIOS-EHESS), « Caring for Country : gouvernance autochtone et programmes de gestion environnementale dans la région australienne du Kimberley »
La région du Kimberley (nord de l’Australie Occidentale) est célèbre pour la diversité de ses paysages, ses richesses environnementales et culturelles, ainsi que pour la diversité des groupes autochtones qui l’habitent depuis 30 000 ans. A mesure que les groupes aborigènes du Kimberley se sont vus reconnaître d’importants droits et intérêts fonciers, en vertu notamment de la loi de 1993 sur le titre indigène, ils multiplient les initiatives pour la gestion des ressources naturelles et culturelles de leurs « pays ». Ces initiatives, réunies sous l’appellation « Caring for Country » sont en partie financées par les fonds gouvernementaux du programme fédérak « Caring for Our Country », notamment les Zones Protégées Aborigènes, pensées localement comme des « blackfella national parks ». Cette présentation sera l’occasion de revenir sur la mise en œuvre de la loi sur le titre indigènes en Australie et sur les innovations en matière de gouvernance et de développement que permet la récupération officielle de terres. Je discuterai en particulier du Caring for Country Plan développé par les Aborigènes du Kimberley à travers leurs organisations et des partenariats universitaires afin de soulever les grands enjeux contemporains d’une gestion autochtone de l’environnement : exploration minière, limites de la reconnaissance juridique, protection de la biodiversité, alliances environnementales et nouvelles structures de gouvernance aux échelons local et régional.
Stéphane Héritier (géographe, CNRS, UMR Environnement Ville Société), « Parcs nationaux et populations locales dans l’ouest canadien : de l’exclusion à la participation »
Les parcs nationaux du Canada sont réputés pour avoir été développés afin de protéger des espaces de nature destinés ‘au bénéfice et à la jouissance du peuple canadien’. L’histoire des parcs nationaux témoigne de l’évolution du rapport à la nature, d’une approche fonctionnelle à une approche environnementale fondée sur la protection des écosystèmes et de la biodiversité. Les quatre parcs nationaux des lacs Waterton, de Banff et de Wood Buffalo en Alberta, ainsi que celui de Kootenay en Colombie-Britannique (quatre des quatorze parcs créés avant 1930, année de la Première loi sur les Parcs Nationaux) sont étudiés afin de cerner les évolutions de l’exclusion puis de l’implication progressive des populations locales, en particulier autochtones, dans la gestion des parcs. L’inclusion de ces populations et des processus de gestion collective ont été développés dans les parcs nationaux du Nord du Canada au milieu des années 1980. Ces pratiques ont été considérées comme des réussites dans ces régions du pays, mais la situation s’avère très différente dans le sud, notamment dans les parcs créés avant 1930. Mais les choses ont changé depuis que la culture et les droits autochtones ont été reconnus dans des jugements rendus par la Cour Suprême du Canada et dans la Loi constitutionnelle. Dans les quatre parcs servant de support à cette étude, l’implication des communautés autochtones et le développement de la participation s’avèrent assez lents. Des actions telles que des tables rondes et la participation à l’élaboration de sites d’interprétation et d’exposition sur l’histoire des Autochtones apparaissent comme les prémisses d’une coopération encore à construire.
5) 8 mars 2012 — (190 avenue de France, 75013 Paris, Salle du conseil A , sous-sol)
« Les peuples autochtones et le défi environnemental : regards croisés entre l’Inde et le Chili »
Interventions de :
Leslie Cloud (juriste, SOGIP, LAIOS-EHESS), Limites et défis de la mise en œuvre des droits des peuples autochtones à la participation à la gestion des ressources naturelles et culturelles au Chili
Cet exposé se propose d’analyser les droits territoriaux des peuples autochtones du Chili, en particulier Mapuche et Rapa Nui, ainsi que l’évolution de leur participation à la gestion de leurs ressources naturelles et culturelles à la lumière des dispositions de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007 (DDPA) et de celles de la Convention 169 de l’OIT (C.169) ratifiée en septembre 2008 par le gouvernement chilien.
Sous le gouvernement militaire d’A. Pinochet, le Chili adapta son économie et sa législation au modèle économique néolibéral lui permettant d’ouvrir son territoire et ses ressources naturelles au marché international. L’ensemble des régions chiliennes sera valorisé en fonction de sa valeur ajoutée économique : en particulier, les territoires ancestraux mapuche pour l’exploitation forestière et ses potentiels hydroélectrique et touristique et le territoire de Rapa Nui (Te Pito O Te Henua) pour son fort attrait culturel et touristique. Dans les années 1990, en l’absence de législation nationale véritablement protectrice des droits des peuples autochtones, jusque la récente ratification de la Convention 169 de l’OIT en 2008, les conflits territoriaux entre l’Etat chilien et diverses organisations et communautés autochtones se sont multipliés, ces dernières revendiquant la récupération de leurs territoires ancestraux ainsi que la protection de leurs ressources naturelles et culturelles menacées par d’importants projets de développements économiques ou l’industrie extractive.
Nous examinerons l’impact de l’adoption de la DDPA et de la ratification de la C.169 par l’Etat chilien dans la médiation de ces conflits ; en particulier comment le droit au consentement et à la consultation préalable, libre et éclairée a été massivement monopolisé par les collectivités autochtones, Mapuche et Rapa Nui et corollairement comment ce principe a été mis en œuvre par le gouvernement chilien.
Raphaël Rousseleau (professeur, Université de Lausanne, membre de SOGIP), Les Droits des Peuples autochtones en Inde : position de l’Etat et revendications locales, et cas des Dongria Kond (Odisha)
L’intervention présentera d’abord le contexte colonial puis post-colonial indien dans lequel certains groupes ont été reconnus comme « Tribus répertoriées » (Scheduled Tribes), avant de se revendiquer comme « aborigènes » (adivasi) au niveau national puis international (ONU).
Nous présenterons les dispositions constitutionnelles qui protègent ces minorités, ainsi que l’évolution de la position officielle de l’Inde vis-à-vis des Conventions 107 et 169 de l’OIT, puis de la Déclaration des Nations-Unis sur les Droits des Peuples Autochtones.
Nous verrons enfin comment les réformes néo-libérales des années 90 ont, là aussi, précipité la situation, en affirmant le primat de l’industrie sur le monde agricole et ouvrant des brèches dans le système de protection des groupes concernés.
L’exemple du conflit entre la ‘tribu’ des Dongria Kond, l’Union indienne et une compagnie minière, dans le massif montagneux des Niamgiri (Etat de l’Odisha, dans l’est de l’Inde), permettra d’examiner le traitement concret des droits de ces populations aux terres forestières, à la consultation préalable ainsi qu’à l’autonomie socio-politique au niveau local.
6) 12 avril 2012 — (EHESS, 190 avenue de France, 75013 Paris, Salle J-P. Vernant, 8ème étage)
Empires, décolonisations, autochtonies
Cette séance, qui conclura le séminaire pour cette année, interrogera l’universalité de la catégorie « peuples autochtones », telle qu’elle a été développée dans les instances internationales au regard des histoires impériales et des legs de la décolonisation. Nous cherchons à comprendre comment les formes de colonisation et de décolonisation ont pu peser sur les trajectoires autochtones contemporaines ; nous changeons ainsi d’échelle et proposons d’examiner les mobilisations autochtones à partir d’une échelle régionale plutôt que nationale.
La séance sera organisée autour de présentations courtes afin d’évaluer la pertinence de notre hypothèse à partir de différents espaces transnationaux ou régionaux :
A CONSULTER :