Désignant le rapport à la terre (autòkhtônos, « de la terre même »), le sens du mot « autochtone » se confond avec celui de « indigène » construit sur les éléments latins gena et indu « issu de l’intérieur », pour désigner étymologiquement « celui qui est du pays ». Le mot « indigène » distingue les personnes « nées dans un lieu » de celles qui viennent d’ailleurs (advenae).
Aux Nations Unies, le terme « autochtone » accolé à « peuple » est la traduction officielle en Français des expressions pueblo indigena / indigenous people, en espagnol et anglais. Le terme « indigène » n’a pas été retenu par les délégués francophones principalement parce qu’il évoquait le Code de l’Indigénat mis en place par la France coloniale pour distinguer les « citoyens français » de souche métropolitaine, des « sujets français » natifs des pays colonisés. Le processus des décolonisations laissa de côté nombre de peuples inclus dans les Etats nouvellement indépendants. Ce sont ces groupes culturellement distincts et socialement marginalisés qui réclament, aujourd’hui, des droits.
« Autochtone » et « Indigène » sont partiellement substituables mais, selon les régions du monde, les contextes et les cultures politiques, ainsi que l’intentionnalité des personnes qui les emploient, ils peuvent désigner des réalités distinctes. Peuvent être utilisés en alternance, avec des connotations plus ou moins positives ou négatives, les termes « Première Nation », « Aborigène », « tribal », « originaire », etc. Une abondante littérature est disponible sur les questions de l’autochtonie dont le sens varie au regard des droits, réclamés ou reconnus (http://www.espacestemps.net/documen…).
Les milliers de délégués qui participent chaque année aux réunions de l’ONU sont la voix des quatre cent millions d’autochtones que l’ONU reconnaît dans 90 pays sur les cinq continents (http://www.un.org/esa/socdev/unpfii… et State of the World’s Indigenous Peoples)
La première caractéristique de cette catégorie politique est de n’être pas définie en soi mais en regard de configurations légales, sociologiques et politiques. Il n’existe ni définition précise de ce « qu’est » un peuple autochtone, ni liste mondiale des peuples autochtones. Selon les pays, ils sont l’objet d’une reconnaissance positive (par ex. en Amérique latine) ou d’un processus d’enregistrement (par ex. en Inde « tribus répertoriées »). Ailleurs, ils sont inclus sous les expressions de « minorités nationales » ou dénommés par des expressions péjoratives, comme c’est le cas pour « Pygmées » dont l’usage vient tout juste d’être prohibé au Congo.
En raison des variations, tant linguistiques que sociologiques et politico-juridiques, une approche analytique multicritère a été mise en place, à l’initiative du Groupe de travail sur les populations autochtones de la Sous-commission des droits de l’homme des Nations Unies sur la prévention de la discrimination et la protection des minorités depuis 1982.
Quatre critères renvoient à :
1) l’occupation et l’utilisation d’un territoire spécifique ;
2) la perpétuation volontaire de caractéristiques culturelles, incluant les aspects touchant à la langue, à l’organisation sociale, aux valeurs religieuses et spirituelles, au mode de production, aux lois et institutions ;
3) l’auto-identification et la reconnaissance par les autres groupes en tant que collectivité distincte ;
4) une expérience d’assujettissement, de marginalisation, d’expropriation, d’exclusion ou de discrimination.
Cette approche a été retenue, en 2005, par la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (http://www.iwgia.org/sw29919.asp). Elle est défendue par de nombreux juristes et anthropologues (voir le débat in Social Anthropology 2006, vol 14/1)
Le concept de « Peuple autochtone » peut être discuté en anthropologie, en philosophie, en science politique ou en sociologie. Le fait est qu’il s’agit dorénavant d’une catégorie reconnue par la communauté internationale et qui a des effets juridiques. La reconnaissance comme peuple, jouissant du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, confère une personnalité juridique à des collectivités et groupes sociaux longtemps privés de droits et de citoyenneté. Le processus de reconnaissance et d’affirmation de soi comme sujet de droit, vise à transformer les rapports de domination internes aux Etats, dans une dynamique qui est aussi transnationale.
Tous les groupes ethniques ne constituent pas des peuples, tous les peuples ne sont pas des peuples autochtones, tous les peuples autochtones ne sont pas systématiquement confrontés aux mêmes problèmes. Mais, à partir de la scène internationale, sont identifiées des situations communes affectant, selon des modalités distinctes, ceux qui se reconnaissent dans la catégorie de « peuple autochtone ».
A la création de la Société des Nations, les représentants autochtones se sont efforcés de saisir la communauté internationale tels Deskaheh, chef kayuga, de la Confédération Iroquoise des Six Nations (Haudenesaunee), en 1923, et le leader spirituel maori T.W. Ratana en 1925, qui se rendirent à Genève : sans succès. L’Organisation des Nations Unies se saisira de la question, à partir des années 1970, en commençant par un tour d’horizon des discriminations à l’encontre des populations autochtones (voir le rapport Martinez Cobo). A partir des années 1980, on assistera à une mobilisation croissante des délégués autochtones, le mouvement s’étendant à l’ensemble des continents dans les années 1990 et 2000.
Différents groupes de travail se mettront alors en place au sein de la Commission des Droits de l’Homme (Groupe de Travail sur les Populations Autochtones : 1982-2006 ; Groupe de Travail sur le Projet de Déclaration : 1995-2006) qui cédera la place en 2006 au Conseil des Droits de l’Homme, auprès duquel sera créé, en 2007, le Mécanisme Expert sur les Droits des Peuples Autochtones. En 2000, seront mis en place deux autres institutions : l’Instance Permanente sur les Questions Autochtones rattachée au Conseil Economique et Social et le Rapporteur Spécial sur les Droits et Libertés Fondamentales des Peuples Autochtones, attaché au Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme.
Les experts onusiens et les représentants autochtones soutenus par des organisations non gouvernementales, instruiront les questions autochtones, dénonceront les violations des droits humains auxquelles sont confrontées ces populations, et à partir de ce travail mettront en place les principes de normes de droit susceptibles d’étendre le régime des droits humains, dans le but de protéger des cultures et des langues considérées comme menacées.
Le 13 septembre 2007, 143 pays adoptent la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones (DDPA), après 25 ans de négociation et malgré l’opposition continue de plusieurs pays membres du Conseil de Sécurité. Si la France et le Royaume Uni, avec l’ensemble de l’Union Européenne, soutient la DDPA en 2007, le bloc CANZUS (Canada, Australie, Nouvelle Zélande, Etats-Unis) ne changera de position qu’en 2009 et 2010. Leur ralliement autour d’un texte destiné à compléter le dispositif international des droits de l’homme sur le plan des droits collectifs signale l’universalisme du dispositif qui se met en place.