L’appropriation des normes de droit énoncées dans la Déclaration / UNDRIP met en cause les principes républicains qui constituent la matrice de la constitution française (unicité du peuple et du territoire, le français comme langue exclusive de la nation) et qui font l’objet d’aménagements limités dans les départements français d’Amérique (voir Données générales). Les institutions républicaines contrarient le principe de reconnaissance de droits culturels, territoriaux et politiques spécifiques des peuples autochtones énoncé dans l’UNDRIP. En particulier, les institutions françaises apparaissent contraires à deux objectifs fondamentaux contenus dans la Déclaration et qui sont revendiqués par les organisations autochtones locales : la reconnaissance de droits fonciers collectifs et la reconnaissance des institutions autochtones et, en premier lieu, les chefs coutumiers.
Au début de la départementalisation, de 1946 au milieu des années 1960, les dispositifs administratifs concernant les Amérindiens s’inscrivaient dans un paradigme de la conservation favorisant une prise en charge spécifique, assurée par le Service des Populations Primitives ensuite dénommé Service des populations africaines et indiennes. Depuis les années 1970 et la politique de francisation, les aspirations des Amérindiens au développement et aux progrès social ont été prises en compte dans des dispositifs assimilationnistes les incluant dans une prise en charge indifférenciée des populations de Guyane que ce soit à travers l’inscription à l’état civil et l’imposition de la filiation patrilinéaire, la scolarisation en langue française, etc.
Cette recherche entend étudier la genèse et le fonctionnement des dispositifs et des politiques publiques à destination des Amérindiens de 1946 à nos jours dans une perspective multiscalaire. Une pluralité d’acteurs - leaders amérindiens, élus locaux, hauts fonctionnaires, anthropologues, enseignants, médecins - concourent en effet à la production et à la mise en œuvre de ces politiques publiques selon des intérêts contradictoires et ce à différentes échelles d’action. Il s’agira donc d’articuler les différentes échelles de gouvernement et d’appréhender la coordination entre des acteurs divers (public et privé, locaux ou nationaux…) à la fois à l’échelle de la municipalité, de la collectivité régionale de Guyane, de la région amazonienne, de la nation française et de l’Union Européenne (1) et enfin à l’échelle globale. Pour cela cette étude se décline sur différents terrains et selon trois axes de recherche.
Ce projet appréhende d’abord la construction et la mise en œuvre de deux politiques publiques en Guyane, les politiques foncière et d’aménagement du territoire, ensuite les dispositifs de reconnaissance des autorités coutumières et enfin les dynamiques d’action collective des Amérindiens de Guyane.
1) Politiques foncières et d’aménagement du territoire
La première dimension d’enquête appréhendera la genèse des principaux dispositifs existant de protection des zones d’habitation et des zones de droit d’usage (agriculture, pêche et chasse) des Amérindiens de Guyane, à partir en particulier du décret de 1987 (pour de plus amples développements sur ce décret, voir la rubrique Terres, territoires, ressources). Il s’agira ensuite de saisir les appropriations locales de ces dispositifs fonciers spécifiques aux Amérindiens et aux Noirs-marrons dans les zones de droit d’usage des villages amérindiens situés sur les communes de St-Laurent du Maroni et de Maripa Soula.
2) Autorités coutumières : reconnaissance institutionnelle et dynamique autochtone
La deuxième dimension permettra d’approfondir les investigations déjà menées dans le cadre d’une thèse sur l’institutionnalisation de la fonction coutumière et de les étendre à l’étude de la création, récente, d’un conseil consultatif coutumier. Ces deux dispositifs seront appréhendés dans une perspective socio-historique et à partir d’une sociologie des acteurs administratifs et politiques qui ont concouru à ces politiques publiques. Nous serons particulièrement attentifs à la circulation de ces acteurs entre les villages, le mouvement amérindien et la scène politique régionale guyanaise, l’espace politique national et en particulier le travail parlementaire et enfin l’ONU.
3) Le Mouvement amérindien en Guyane : dynamiques locales et dynamiques globales
Enfin nous nous intéressons aux carrières des organisations amérindiennes, de leurs leaders et de l’usage qu’ils font de la ressource de « l’autochtonie ». Nous étudierons donc les différentes organisations autochtones de Guyane (AAGF, FOAG, ONAG, Villages de Guyane), les trajectoires de leurs leaders et en particulier leur expérience militante et/ou politique locale, nationale et transnationale. Comment et dans quel contexte les dirigeants associatifs, élus, chefs coutumiers des différents groupes amérindiens de Guyane commencent à utiliser le label « d’autochtones » et les concepts qui lui sont afférents forgés sur la scène transnationale ? A quel moment et dans quel autre contexte certains font le choix alternatif de ne plus utiliser cette ressource et d’investir principalement les institutions politiques guyanaises (collectivités locales et partis politiques) ? Il s’agit d’identifier les circulations des acteurs en Guyane, dans la région amazonienne, en métropole et aux Nations-Unis et les médiations qui permettent de rendre compte de l’appropriation de l’autochtonie en Guyane en étudiant la manière dont l’entreprise politique fondée sur cette ressource se déploie à différentes échelles. Cette recherche inclut une perspective comparative avec le Brésil et le Surinam.
(1) La Guyane est une Région Ultra-périphérique (RUP) de l’Union Européenne et perçoit des financements européens relativement importants principalement redistribués par l’Etat et la Région Guyane.
La Guyane est une région et un département d’outre-mer (DOM) français d’Amérique du Sud et fait partie des neuf régions ultrapériphériques (RUP) de l’Union européenne (UE). Elle constitue avec la Guadeloupe et la Martinique, situées dans les Antilles, les départements français d’Amérique (DFA).
Ce territoire d’une superficie de 83 846 km2 se caractérise par son environnement amazonien, 96 % du territoire étant couvert d’une forêt équatoriale parmi les plus riches et les moins écologiquement fragmentées du monde.
La Guyane appartient à un ensemble géographique plus vaste dit plateau des Guyanes qui comprend à l’Ouest une partie du Venezuela, délimité par le fleuve Orénoque, le Guyana (ancienne Guyane britannique ou anglaise), le Suriname (ancienne Guyane néerlandaise ou hollandaise) et à l’Est le nord du Brésil, délimité par l’Amazone.
Avant la période coloniale, la Guyane était peuplée par différents groupes amérindiens dont la population est estimée à 30 000 personnes au moment de la conquête.
Les bouleversements induits par la colonisation ont entraîné un fort déclin démographique de ces populations mais n’ont pas entraîné leur extinction, ils seraient aujourd’hui environ 10 000. Outre les Amérindiens, la population guyanaise contemporaine compte des populations issus de la traite : les Créoles qui sont les descendants des esclaves africains et les Noirs-marrons qui sont les descendants des esclaves qui, au XVIIe siècle, ont fui les plantations de Guyane hollandaise et se sont réfugiés en forêt. Différents groupes marrons se sont formés selon la période et l’aire de marronnage (ndju’ka, aluku, paramaka, etc.). Chacun d’eux parle sa propre langue. Certains de ces groupes se sont installés en Guyane française au cours du XVIIIe et du XIXe siècles.
Dans les années 1960, la départementalisation sociale qui se traduit par d’importants transferts financiers de la métropole vers la Guyane permet une forte augmentation du niveau de vie de la Guyane par rapport à ses voisins brésiliens, surinamais… L’implantation de la base spatiale qui débute en 1965 mais prend son essor dans les années 1970 modifie son économie et son image. En plus des migrations planifiées de main d’œuvre qualifiée métropolitaines, ouvrières caribéennes, ou encore Hmong en 1977, la Guyane connaît alors d’importantes migrations spontanées (brésiliennes, haïtiennes, surinamiennes). Entre 1982 et 1999, la population guyanaise a augmenté de 115,4%, cette croissance étant principalement due à des flux migratoires.
Au 1er janvier 2009, la population de la Guyane est de 225 751 habitants. La France ne réalisant pas de statistiques ethniques, il n’existe pas de recensement exact des populations amérindiennes et noirs-marrons de Guyane ; toutefois on estime qu’il y a environ 10 000 amérindiens et 60 000 noirs-marrons. La population guyanaise est en forte croissance, puisqu’elle était de 115 000 en 1990 et de 157 000 en 1999. C’est la conséquence de la conjugaison d’un fort taux de croissance naturelle et d’une immigration importante (souvent clandestine) venant des pays proches que ce soit le Brésil, le Guyana, Haïti ou le Suriname (sur les dynamiques migratoires en Guyane, voir les travaux de Frédéric Piantoni). La Guyane est le département français où le taux de natalité est le plus élevé (31 ‰). L’indice guyanais de fécondité était de 3,98 enfants par femme en 2006. La population guyanaise est donc jeune (l’âge médian est de 28,6 ans) et en 1999, 43,3 % de la population avait moins de 20 ans.
Région monodépartemental, la Guyane est doté d’un conseil régional et d’un conseil général. Il est toutefois prévu, suite à l’approbation par les Guyanais au cours d’un référendum tenu le 24 janvier 2010, de fusionner le conseil régional et le conseil général en une assemblée unique ou « collectivité unique ». Au niveau communal, il existe 22 communes dirigées par des maires. Certaines de ces communes, comme Maripasoula et Camopi, ont des superficies supérieures aux départements métropolitains. Par ailleurs, la Guyane est représentée au niveau national par 2 députés et 2 sénateurs.
L’économie guyanaise se caractérise par le poids prépondérant de la sphère publique dans l’économie globale ; elle représente ainsi 49% de la masse salariale globale contre 21% en France métropolitaine. En effet, depuis le déclin de l’industrie forestière et de la pêche crevettière au début des années 1980, la part de la sphère productive (industrie, énergie, services aux entreprises, transport de marchandises) est faible dans l’activité économique globale (1) et celle-ci est principalement concentrée dans les activités spatiales. L’économie de la Guyane est donc fortement dépendante de l’Hexagone et de l’industrie spatiale (CSG) qui représente la moitié du PIB du département. Le taux de chômage officiel au deuxième semestre 2010 est de 21 %. L’INSEE Guyane produit des données statistiques régulières sur la situation économique et sociale du département, même si ces données n’incluant pas de variables ethniques, elles ne nous permettent pas de connaître la situation des Amérindiens et des Noirs-marrons au regard de l’économie guyanaise.
(1) BENHADDOUCHE Ali, DURIEUX Stéphanie, « Plus de deux salariés sur cinq dans la sphère publique en Guyane », Antiane échos, Insee Antilles-Guyane, 4, janvier 2008, 4 p.
En raison des liens économiques et politiques relativement exclusifs avec la métropole et les autres départements français d’Amérique, la Guyane est faiblement intégrée d’un point de vue institutionnel à l’ensemble amazonien. Cette faible intégration régionale est perceptible dans la structuration des transports puisque l’aéroport de Guyane assure principalement des liaisons à destination de Paris et des Antilles (quotidiennes) tandis qu’il n’assure qu’une liaison par semaine pour le Brésil (Belém), le Surinam et Haïti (escale aux Antilles). Toutefois du point de vue des échanges culturels, de l’économie informelle, des flux migratoires, la Guyane demeure fortement intégrée dans le continent sud-américain et se distingue en cela clairement des deux autres départements français d’Amérique.
La France par ses départements d’Amérique est membre ou associée à un certains nombres d’organismes interrégionaux tels que l’Organisation des Etats de la Caraïbe (OEC) n’est pas membre de l’Organisation des Etats Américains (OEA) qui est le principal organisme de coopération régional et comprend 35 pays d’Amérique du Nord et du Sud. Toutefois elle a depuis 1972 le statut d’observateur permanent auprès de l’OEA tout comme l’Union Européenne depuis novembre 1989. En outre, afin de manifester sa volonté de jouer un rôle plus actif dans la zone Amérique latine-Caraïbe, où elle est présente par ses départements d’Amérique, un Ambassadeur résident a été désigné en novembre 1989 et une Mission permanente de la France auprès de l’OEA ouverte en 1990. La France est également membre de la Banque Interaméricaine du Développement (BID).
Les Amérindiens de Guyane participent à des organisations transnationales telles que la COICA créée en 1984 qui fédère les organisations autochtones des neuf pays présents sur le bassin amazonien. Les échanges entre Amérindiens de Guyane, du Surinam et du Brésil sont également particulièrement nombreux (rencontre culturelles, rencontre sportives…).
La Guyane est un département français régi par l’article 73 de la constitution, à ce titre elle ne dispose pas de spécialité législative, son autonomie politique est limitée et les adaptations des dispositifs institutionnelles et administratifs à la réalité sociale locale sont réalisées dans les marges du droit. C’est particulièrement vrai pour les populations autochtones. Ainsi il existe très peu de dispositifs institutionnels et politiques reconnus spécifiques aux Amérindiens.
La revendication d’autonomie formulée par le mouvement amérindien à partir du début des années 1980 a été partiellement satisfaite par la création de la commune d’Awala-Yalimapo. Séparée de la commune de Mana, à majorité créole, les deux villages kali’nas d’Awala et de Yalimapo forment une nouvelle collectivité territoriale, dont les résidents sont quasiment tous Kali’na. La création de cette nouvelle collectivité a permis une première expérience de gestion municipale autonome.
Toutefois cette avancée politique s’est opérée sans innovation juridique et ne semble pas pouvoir être étendue à d’autres localités amérindiennes en raison de l’opposition de la classe politique créole à la création de nouvelle commune considérée comme « ethnique ».
Les chefs coutumiers des villages amérindiens de Guyane sont reconnus par l’Etat et sont faiblement indemnisés par le Conseil général. Toutefois dans les faits, les prérogatives de ces chefs ne sont pas véritablement reconnues par l’Etat et les collectivités de Guyane. L’autorité de ces chefs est ainsi peu à peu concurrencée par celle des élus des communes sur le territoire desquelles se situent les villages amérindiens. Une commission consultative mixte (amérindienne et noirs-marrons) a bien été créée en 2009 mais sa fonction apparaît limitée, elle ne peut émettre que des avis consultatifs sur les décisions des collectivités de Guyane et ses membres sont nommés par l’administration et non désignés par les communautés autochtones elles-mêmes.
Le mouvement amérindien a commencé en décembre 1984 lorsque l’Association des Amérindiens de Guyane Française (AAGF), fondée en 1981, organise le premier rassemblement des Amérindiens de Guyane, événement qui marque symboliquement l’entrée des Amérindiens dans l’espace politique du département. Les leaders de l’AAGF revendiquent la « souveraineté sur leurs territoires » à un moment où la concurrence autour des terres traditionnellement occupées par les Amérindiens sur le littoral est de plus en plus forte. C’est autour du concept d’autochtonie que se structurent les revendications de l’organisation ; Félix Tiouka, l’un des fondateurs de l’AAGF, affirme ainsi leur «volonté d’exister en tant qu’Amérindiens descendants des premiers occupants de ce département».
Les revendications du mouvement amérindien ont été rapidement relayées en métropole ; le discours de Félix Tiouka est ainsi diffusé dès 1985 dans la revue Ethnies, publiée par la section française de l’ONG Survival, les Amis de la terre et d’autres organisations telles que le CSIA relaient également en France hexagonale les revendications du mouvement amérindien de Guyane. Au début des années 1990, les dirigeants de l’AAGF développent des activités sur l’ensemble du territoire guyanais, font la tournée des villages et fournissent à leurs habitants des conseils juridiques pour fonder des associations et les incitent à revendiquer la propriété des terres de leur village, dans le cadre du décret de 1987. Ils suscitent ainsi la création de nombreuses associations locales ce qui permet en 1992 de créer la Fédération des Organisations Amérindiennes de Guyane (FOAG) qui succède à l’AAGF en 1992. C’est à partir de ce moment que les dirigeants du mouvement amérindien portent les revendications amérindiennes de Guyane à l’ONU et renforcent les liens avec les organisations indigènes amazoniennes, en particulier la COICA. A partir de 2001, le monopole de la FOAG à représenter l’ensemble des Amérindiens de Guyane est contesté et d’autres organisations apparaissent en particulier, Villages de Guyane qui regroupe des chefs coutumiers et des présidents d’associations locales. Le Forum des élus amérindiens de Guyane organisé en 2001 apparaît également comme une alternative à la FOAG fondée sur la légitimité d’élu. En effet, si les Amérindiens sont encore quasi absents des partis politiques guyanais et dans les instances régionales et générales (pas de conseiller régional en 2001, un seul conseiller général), on compte en revanche deux maires amérindiens à Awala-Yalimapo et Camopi et de nombreux conseillers municipaux. En 2004, la présidente de Villages de Guyane et cheffe coutumière de Balaté, Brigitte Wyngaarde devient la porte-parole des Verts Guyane qu’elle a contribué à fonder, elle porte ainsi également sur la scène politique régionale institutionnelle certaines revendications amérindiennes. Lorsqu’elle se retire de la vie politique guyanaise en 2010, Alexis Tiouka, ancien membre des instances dirigeantes de la FOAG et élu de la mairie d’Awala-Yalimapo continue à marquer les Verts devenu Europe écologie-les Verts d’une forte présence amérindienne.
Depuis 2010, la crise de gouvernance au sein de la FOAG qui date du début des années 2000 a éclaté au grand jour. En 2010, à l’issue d’un congrès extraordinaire l’ancienne direction de la FOAG a été démise de ses fonctions puis la nouvelle direction et en particulier Florencine Edouard, sa coordinatrice générale a décidé de la dissolution de la FOAG et la création d’une nouvelle entité, l’ONAG. Toutefois Jean-Aubéric Charles, l’ancien dirigeant de la FOAG a contesté la légalité de cette opération, à l’heure actuelle il existe donc deux organisations qui se revendiquent toutes deux comme représentante légitime et exclusive des Amérindiens de Guyane.
Le régime juridique du domaine foncier est singulier en Guyane au regard de la France métropolitaine ou des autres Département d’Outre-Mer car la majorité des terres de Guyane sont la propriété domaniale de l’Etat. Cette singularité tient à l’histoire de la colonisation : entamée sous la Restauration par les ordonnances royales de 1825, la main-mise de l’Etat sur l’ensemble des biens domaniaux de Guyane est confirmé par le décret du 15 novembre 1898. Selon la doctrine de la Terra Nullius, le régime foncier de l’Etat est constitué de toutes les terres vacantes et sans maître, les bois et les forêts, soit la quasi-totalité des terres de Guyane (1) . Avec la fin des régimes fonciers particuliers, celui du domaine pénitentiaire et du domaine de l’Inini (2), respectivement géré par l’administration pénitentiaire et par la préfecture, la propriété domaniale de l’Etat est gérée par un régime unique. L’Etat a néanmoins été obligé de céder une partie des terres domaniales aux collectivités territoriales de Guyane, ainsi qu’à des particuliers pour permettre le peuplement ou le développement d’activité économiques.
En ce qui concerne les populations amérindiennes et noirs-marrons, l’Etat leur reconnaissait officiellement depuis 1948 un droit de jouissance sur son domaine. Ce n’est qu’à la fin des années 1980 alors que le mouvement amérindien s’est institutionnalisé que l’Etat français satisfait de manière limitée ses revendications foncières par l’entremise du décret du 14 avril 1987. Celui-ci accorde aux “ communautés d’habitants tirant traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt ” la possibilité de se voir attribuer des « zones de droit d’usage » et de se faire concéder ou céder collectivement des terres domaniales. Les zones de droit d’usage se situent en forêt à proximité relative des villages concernés et sont habituellement implantées autour d’un cours d’eau ce qui facilite à la fois l’accès à la zone et les usages traditionnelles ; les Amérindiens peuvent donc y pratiquer l’agriculture d’abattis, y chasser et y pêcher. Cela constitue une avancée juridique incontestable car avant cette disposition, les concessions ne concernaient en Guyane que les personnes physiques à titre personnel ; elles ne profitaient donc pas aux communautés amérindiennes organisées selon le principe d’appropriation collective de la terre. De fait les concessions de droit commun concernaient surtout des particuliers issus d’autres groupes guyanais, en particulier créoles. Dans le cadre du décret de 1987, l’Etat concède ou cède les zones d’habitation amérindienne à une association loi 1901 tandis que les zones de droit d’usage sont elles confiées à l’autorité du chef coutumier.
Les procédures d’attribution des zones de droits d’usage comme les concessions et les cessions prévoyaient une place prépondérante au représentant de l’Etat afin d’éviter les pressions et obstacles locaux. Mais de fait la préfecture ne prend donc pas de décision d’octroyer les concessions ou cessions sans le consentement des communes et il suffit du veto du maire dans la commission d’attribution foncière pour bloquer le processus. Seize ans après la parution du décret de 1987, seuls trois villages amérindiens de Guyane ont bénéficié d’une cession, partout ailleurs les élus locaux s’y sont opposés. En revanche l’attribution de zones de droits d’usage s’est effectuée plus aisément : une majorité de villages amérindiens sur le littoral et à l’intérieur du département ont désormais une zone dite “ de subsistance ”. Toutefois il n’existe pas de dispositif pour protéger ces zones d’usages concurrents extérieurs à ces communautés.
Dans le Sud de la Guyane en particulier, les zones de droit d’usage des Wayana, des Teko et des Wayampi sont ainsi fortement détériorées par l’orpaillage illégal.
Les chantiers d’orpaillage engendre la déforestation des sites, une importante pollution mercurielle et une insécurité croissante dans les espaces de vie des Amérindiens.
(1) Martres Jean-Pascal, Larrieu Jacques, Coutumes et droit en Guyane. Actes du colloque de Cayenne, 25, 26, 27.
(2) Le département de l’Inini regroupait tout l’intérieur du pays, les zones de forêt très faiblement peuplées.
La Guyane présente une grande diversité linguistique. Outre les langues amérindiennes, elle compte en effet des langues créoles à base lexicale anglaise que parlent les différentes populations noirs-marrons (aluku, ndjuka, paramaka, saramaka) et le créole guyanais à base lexicale française. En outre, les populations issues des migrations contemporaines telles que les Hmong, les Brésiliens ou les Haïtiens ont également leur propre langue.
En ce qui concerne les Amérindiens, chacun des 6 groupes amérindiens a sa langue propre qui appartiennent à trois grandes familles linguistiques (caribes, arawak et tupi-guarani). Les langues autochtones ne sont toutefois pas dans la même situation, le lokono apparaît en effet sévèrement menacé et ne compte plus qu’une dizaine de locuteurs, le teko est également dans une situation critique étant donné la faiblesse de la population teko. Le kali’na, le wayana,le wayampi et le palik’wene semblent en revanche plus robustes. La DRAC et l’IRD finance des projets d’étude et de valorisation des langues autochtones. Toutefois l’enregistrement des langues et les groupes de travail sur les langues autochtones sont à l’initiative de chercheurs et de responsables locaux mais ne font pas l’objet d’une politique étatique globale de préservation des langues.
En l’absence de statistiques ethniques en Guyane, il est difficile de connaître la situation spécifique des autochtones du point de vue de l’accès à la santé, à l’emploi, à l’éducation….Toutefois, au regard du faible nombre d’Amérindiens qui obtiennent le baccalauréat et peuvent poursuivre des études supérieures, un écart significatif paraît se maintenir en termes d’accès, de suivi et de réussite entre élèves autochtones et non-autochtones en Guyane. Il n’existe pas de dispositif d’éducation spécifique autochtone et l’Etat français ne reconnaît pas aux Amérindiens de Guyane le droit à suivre un enseignement dans leur(s) langue(s) et selon leurs propres systèmes de savoir.
Le seul dispositif visant à adapter l’Education nationale aux conditions d’enseignement en milieu autochtone a été initié en 1998 par le rectorat de Guyane en partenariat avec des linguistes de l’IRD afin de recruter et de former des médiateurs culturels et bilingues.
Dans un contexte où la grande majorité des enseignants est extérieure aux communautés autochtones dans lesquelles elle enseigne, n’a pas de langue d’interlocution avec de jeunes autochtones non francophones et est peu ou pas préparé à cette rencontre, les médiateurs-bilingues permettent d’assurer une présence de la langue maternelle à l’école, en priorité dans les petites classes.
Cette présence vise à rassurer les enfants, à accompagner le développement du langage dans la langue maternelle de l’enfant et à assurer une médiation entre enseignants, élèves et parents. Ce dispositif est toutefois précaire, il a été interrompu à plusieurs reprises, les médiateurs-bilingues ne disposent pas d’un véritable statut au sein de l’éducation nationale et il ne concerne qu’une partie des villages amérindiens, de nombreux villages situés dans les communes du littoral n’y sont par exemple pas inclus. `
Les Amérindiens disposent d’un magazine autochtone, Oka mag ; en revanche ils ne bénéficient pas de radios autochtones comme c’est le cas au Surinam. Depuis les années 1980, de nombreuses associations locales s’emploient à valoriser les savoir-faire et traditions amérindiennes. Groupes folkloriques, artisanat, festival de musique, manifestations sportives traditionnelles, les Amérindiens ont réussi à rendre visible de nombreux aspects de leur culture.
C’est particulièrement le cas dans la commune d’Awala-Yalimapo qui a développé une politique culturelle forte. Dans cette commune comme ailleurs, les associations culturelles amérindiennes bénéficient de financements locaux comme étatiques et sont régulièrement invitées aux différentes manifestations culturelles guyanaises. Toutefois cette volonté de promotion des cultures amérindiennes n’est pas toujours dénuée d’ambiguïté comme en atteste le projet controversé de construction de carbet amérindien au jardin d’acclimatation dans le cadre de l’année des outre-mer.