Le terme de gouvernance, devenu omniprésent dans les discours politiques aussi bien que dans les sciences sociales, n’a pas de définition stable et reconnue par tous. Terme grec repris par le latin, il a essaimé dans toutes les langues européennes. Etymologiquement et historiquement, le terme de « gouvernance » a servi, depuis Platon, à désigner l’art et la manière de gouverner un collectif humain.
Tombé en désuétude au profit de « gouvernement », la « gouvernance » a resurgi dans les années 1990, mis en avant par des économistes et politologues anglo-saxons avocats du New Public Management, ainsi qu’au sein de certaines institutions internationales, Banque Mondiale en particulier. Dans ce cadre, la « gouvernance » reçoit une définition normative non dénuée de connotations morales : la « bonne gouvernance », qui sous-tend les réformes d’ajustement structurel.
La résurgence du terme « gouvernance » s’inscrit plus largement dans les processus de globalisation contemporains. La notion y prend de nouvelles significations en tant que cadre analytique et descriptif dans une situation où le pouvoir n’est plus seulement exercé depuis les institutions centrales de l’Etat, mais distribué au sein de réseaux de parties prenantes (stakeholders) : entreprises privées, institutions internationales et organisations de la société civile en particulier. En ce sens, la gouvernance se distingue nettement du gouvernement et renvoie à la pluralité d’acteurs et d’échelles impliqués par un régime de pouvoir distribué par les processus de globalisation. (Sur ce questions, voir notamment le site de l’Institut de la Recherche sur la Gouvernance)
En ce sens, la gouvernance peut être conçue, de manière large, comme « les processus, structures et institutions (formelles et informelles) à travers lesquelles un groupe, une communauté ou une société prend des décisions, distribue et exerce le pouvoir et l’autorité, détermine ses objectifs stratégiques, organise le comportement individuel et collectif, développe des règles et attribue les responsabilités (Dodson & Smith 2003 : 1).
Avec le développement global d’un mouvement pour les droits autochtones et la formation de nombreuses organisations (locales, régionales, nationales et internationales), le thème de la « gouvernance » s’est lui aussi progressivement imposé. Dans un contexte autochtone, le terme de gouvernance peut-être subdivisé en trois catégories dont l’articulation demeure problématique :
Les organisations autochtones (organisations politiques, de services, culturelles, etc.) émergent généralement dans un cadre qui se veut postcolonial. Elles sont censées être un véhicule de l’autodétermination autochtone à travers le développement des capacités et l’innovation économique. De ce fait, une grande part de la recherche a été consacrée à leur analyse (voir en particulier Sterritt 2002, le Harvard Project on American Indian Economic Development et l’Indigenous Community Governance Project du Centre for Aboriginal Economy and Policy Research à l’Australian National University) dans une optique de partage des expériences réussies.
Chacun des aspects de la gouvernance autochtone a donné lieu à de nombreuses recherches et publications (voir fiches thématiques). Cependant, l’analyse de l’articulation entre les différents niveaux et dimensions de la gouvernance autochtone – institutions classiques, (post)coloniales et étatiques, auxquelles il faut encore ajouter les instances internationales – reste, quant à elle, plus limitée.
SOGIP interroge la pertinence de la notion de gouvernance dans la réalisation du principe et du droit à l’autodétermination pour les peuples autochtones inscrit dans l’UNDRIP.
Etant donné le flou sémantique régnant autour de la définition du terme de gouvernance, pour dépasser le seul « malentendu productif », il faut interroger son usage en tant que fait social. LeCadre Analytique de la Gouvernance, développé par Marc Hufty (2007) se veut, de cette manière, une méthode de description et d’analyse des processus de gouvernance qui puisse contribuer utilement aux sciences sociales en offrant une base de comparaison.
Plus largement, SOGIP aborde les questions de gouvernance en contexte autochtone comme l’un des éléments à enjeu de la relation politique qui se dit au travers de l’autochtonie. D’un côté, du point de vue des Etats ou des instances internationales, la notion de « bonne gouvernance » est manipulée dans une optique de neutralisation et de normalisation des différences culturelles et institutionnelles autochtones. D’un autre côté, la réflexion sur la gouvernance du point de vue des sociétés et organisations autochtones constitue le creuset dans lequel s’inventent des formes d’autonomie et d’autodétermination en vue d’un « bien vivre ». La notion de gouvernance recouvre ainsi un conflit de valeurs et de perspectives en tant que « cadre conceptuel qui nous dit quelque chose de ce qui est souhaitable » (Létourneau 2009 : 1). SOGIP a comme objectif de décrire et d’analyser les ressorts de cette tension politique et les manières dont elle peut être résolue pour toutes les parties impliquées.